«Le sport est un lieu politique»

Patrick Clastres Il aime la cuisine italienne et découvre les tables lausannoises, ici au Restau­rant Amici. © Pierre-Antoine Grisoni - Strates
Patrick Clastres
Il aime la cuisine italienne et découvre les tables lausannoises, ici au Restaurant Amici.
© Pierre-Antoine Grisoni – Strates

Investi par d’énormes attentes allant de l’économie à la religion, le sport se veut pourtant neutre. C’est sa force et sa faiblesse, estime le professeur Patrick Clastres.

Avant de venir à Lausanne, il a visité tout le spectre de l’Education nationale en France. Passant du collège en zone sensible à la préparation des jeunes voulant intégrer l’Ecole normale supérieure, il a initié en 2003 et codirigé le séminaire d’histoire du sport à Sciences Po Paris. L’historien Patrick Clastres ne veut pas se voir «réduit à son objet» et concède du bout des lèvres une pratique tennistique un temps semi-professionnelle. Du passé. Aujourd’hui, il ne revendique plus qu’une discipline, celle du pas de côté. Il décrypte le monde olympique avec prudence et refuse de se laisser engloutir dans son champ d’études. Cette indépendance n’implique nulle malveillance. Le discours dérangeant pouvant à ses yeux «aider le CIO à mieux comprendre sa culture d’entreprise», voire à «penser son futur», il est heureux de travailler à l’UNIL, dans un canton et une ville qui se trouvent être «l’omphalos», autrement dit le nombril grec donc le centre, non pas du monde, mais de la planète sport.

Durant ses études, Patrick Clastres s’est intéressé à l’époque moderne puis à l’antiquité gréco-romaine, avant de conjuguer ses deux passions pour l’histoire et le sport en rédigeant sa thèse sous la forme d’une biographie politique de Pierre de Coubertin. Choisir cette spécialité marginale, comme historien, signifiait aussi pouvoir explorer un objet dont le retour programmé tous les quatre ans sur la scène mondiale ouvrait à la recherche un horizon presque inépuisable. Avec un projet déposé au FNS, le scientifique entend décrypter les discours et les parcours de 400 dirigeants du CIO entre 1942 et 1992. Il veut plonger dans un passé récent et tumultueux pour mieux comprendre l’institution et, pourquoi pas, l’aider à relever ses défis culturels et démocratiques, l’actuel président Thomas Bach proposant d’intégrer de nouveaux sports dans le programme des jeux et d’ouvrir la porte aux associations de défense des droits de l’Homme, considérées avec une grande méfiance jusqu’ici.

La «politique de l’apolitisme» aurait-elle fait son temps ? «L’olympisme doit jouer un rôle dans l’évolution démocratique du monde. S’il s’en tient à un concept mou, il sera fatalement pénétré par les pires idéologies et théocraties. La neutralité est une faiblesse paradoxale pour une institution qui dispose d’une puissance symbolique planétaire. Par-delà les messages utopiques, le CIO pourrait être plus actif sur la question des droits de la personne en particulier.»

Qu’en est-il des «vieux sports» comme la lutte, l’escrime ou l’athlétisme ? Patrick Clastres pointe la désaffection d’une fraction importante de la jeunesse occidentale pour ces disciplines (au profit des sports de glisse ou de combats dans un «stade virtuel» par écrans interposés) et la réticence des démocraties à accueillir des événements économiquement risqués. L’historien rappelle cette double dimension du sport comme «conservatoire des traditions et laboratoire de la modernité». Il invite ses étudiants à décrypter les significations qui pèsent sur ce domaine considéré sous l’angle de la performance et d’une instance investie par l’économie, la médecine, la culture, la politique…

Père de trois enfants, Patrick Clastres est sincèrement intéressé par le regard des jeunes sur le monde et le sport tels qu’ils vont évoluer.

Un goût de l’enfance
Le pain grillé devant la braise de la cheminée.

Une ville de gout
Bilbao et ses pintxos, des tapas puissance mille.

Avec qui partager un repas
Le pianiste cubain de jazz Roberto Fonseca.

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