La vérité était ailleurs

Jocelyn Rochat, rédaction en chef

Il faut trois ingrédients pour écrire un bon polar. D’abord, une histoire à suspense, avec des retournements de situation qui se terminent par l’arrestation d’un coupable inattendu. Il faut encore un héros, souvent un policier, qui se révèle capable de penser envers et contre toutes les fausses pistes qui s’accumulent sur sa route. Et il faut une enquête qui dépasse le simple fait divers, pour parler de son époque.

Vous retrouverez tous ces ingrédients dans ce magazine, où nous vous proposons un polar du réel. Ce récit très détaillé expose une rareté: suivre dans les coulisses une enquête qui a tenu la Suisse romande en haleine durant l’été 2005. L’affaire est suffisamment spectaculaire pour être devenue un cas d’école, que le professeur de l’UNIL Olivier Ribaux présente un peu partout à ses collègues amateurs de Sciences forensiques du monde entier. L’une de ces conférences, donnée à l’Université de Montréal, est notamment proposée sur YouTube.

Pour préserver le suspense, nous ne dirons rien ici des investigations policières qui ont permis de retrouver le coupable. Vous découvrirez la clé de l’énigme dans l’article. Mais nous pouvons méditer sans attendre sur les éclairages que cette affaire apporte à notre époque médiatique. Dans cette enquête, en effet, les médias de 2005 ont très vite désigné le suspect qu’il fallait pister. Comme les traitements infligés aux victimes étaient particulièrement cruels et sordides, les journalistes n’ont pas attendu que la police confirme leur hypothèse pour se lancer dans l’une de ces chasses en meute qui caractérisent le XXIe siècle, avec des médias qui se regardent les uns les autres, se reprennent les sujets ou les hypothèses, sans que les «enquêtes» qui se succèdent n’apportent forcément d’éléments nouveaux.

Le fait divers qui est longuement raconté dans cette édition d’Allez savoir! témoigne encore de la difficulté qu’il y a désormais à penser de manière indépendante, quand la presse est unanime. A une époque où les fake news sont partout – y compris, parfois, dans les médias sérieux – et où certaines opinions deviennent instantanément des mantras qui sont répétés en boucle, avec l’interdiction de remettre en question ces credo, ce fait divers nous interroge sur les dérives de la pensée unique.

Il y a donc à apprendre de la solution qui a été trouvée en 2005 par le regretté Olivier Guéniat (qui a résolu l’affaire), comme de sa méthode de travail. Ce chercheur de l’UNIL a privilégié une technique scientifique de base: revenir aux faits, et commencer à réfléchir à partir des indices, sans aller directement aux conclusions qui étaient avancées dans les médias. Quand tous, de CNN à TF1, en passant par la RTS, Blick et Le Temps vous disent le contraire, cette capacité à penser contre la marée relève de l’exploit. L’exemple peut encore nous servir de modèle, vu que la machine médiatique, désormais concurrencée par des réseaux sociaux hyperactifs, ne se révèle guère plus raisonnable qu’en 2005.

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