Le théâtre sort de l’ombre

D’intérêt patrimonial majeur, les collections du château d’Hauteville (près de Vevey) ont été dispersées lors de deux ventes aux enchères. Toutefois, certains lots ont été acquis par des institutions publiques vaudoises, grâce entre autres au travail de coordination mené par Béatrice Lovis, historienne de l’art et du théâtre à l’UNIL. En complément de l’article paru dans Allez savoir ! 69, mai 2018.

Installé sur la commune de Saint-Légier-La Chiésaz, le château d’Hauteville est un monument d’importance nationale. Doté d’un magnifique parc, il appartient depuis sept générations aux Grand d’Hauteville. Il y a quatre ans, les héritiers ont mis le vaste bâtiment en vente, aucune institution publique n’ayant proposé de reprendre cet édifice dont l’entretien n’est pas une mince affaire. En parallèle, les collections familiales (mobilier, objets, livres anciens, etc.) ont été dispersées à l’issue de deux ventes aux enchères, en 2014 et 2015.

Heureusement, l’hoirie Grand d’Hauteville a fait don de 56 portraits au Musée national suisse ainsi que de jeux anciens au Musée suisse du jeu de la Tour-de-Peilz. De plus, grâce à l’énergie de Béatrice Lovis, qui mène une thèse sur le théâtre à Lausanne au XVIIIe siècle, et avec l’aide active de la conservatrice du Musée national de Prangins, Helen Bieri Thomson, et du directeur des Archives cantonales vaudoises, Gilbert Coutaz, plusieurs institutions ont réuni leurs forces pour acheter des lots importants.

Les collections du château comprenaient notamment de nombreux objets en lien avec le théâtre de société, en vogue du milieu du XVIIIe siècle jusqu’au début du XIXe. A l’époque, les Grand d’Hauteville appréciaient ce divertissement, prisé par d‘autres familles aisées vaudoises. « Le catalogue de la seconde vente listait un grand nombre de lots qui touchaient à la scène. Ils comprenaient des livres, des dessins, des costumes et des décors de théâtre. J’ai coordonné les efforts de plusieurs institutions publiques pour tenter d’acquérir les principaux lots relatifs à cet ensemble exceptionnel », se souvient Béatrice Lovis, qui a participé activement aux enchères. Par la suite, des archives et de précieuses photographies qui n’étaient pas passées en vente ont rejoint le fonds familial déposé aux Archives cantonales vaudoises.

Un « théâtre de chambre » rarissime

Aujourd’hui à l’abri dans les collections du Musée national suisse, deux ensembles de décors de théâtre particulièrement intéressants ont pu être achetés. Le premier a été réalisé en 1777 par le Lyonnais Joseph Audibert. D’un charme fou, une vingtaine de panneaux de toile peinte tendus sur des châssis de bois représentent une cuisine, un salon, un jardin à la française et une forêt, modulables selon les besoins de la pièce. « Cet ensemble remarquable s’avère être le plus ancien conservé en Suisse et ne possède pas d’équivalent en Europe », relève Béatrice Lovis.

L’histoire du théâtre au château rebondit au début des années 1920 avec Frédéric Grand d’Hauteville (1873-1944). Né d’une mère américaine, formé en Angleterre, cet amoureux de la scène a relancé un cycle de représentations. Des manuscrits, des esquisses, des aquarelles, des programmes et des photographies documentent trois saisons théâtrales (de 1921 à 1923). Le peintre veveysan Philippe Recordon a créé plusieurs beaux décors, notamment pour la comédie Barberine d’Alfred de Musset. D’autre part, une trentaine de costumes anciens ont aussi rejoint les réserves du Musée national suisse.

Si le théâtre de société marquait, aux XVIIIe et XIXe siècles, les ambitions sociales des Grand d’Hauteville et des Cannac (famille alliée qui a fait construire le château), les mises en scène de Frédéric Grand d’Hauteville tiennent plutôt de son désir de ressusciter « l’esprit d’Hauteville », d’en faire revivre les grandes heures, comme l’explique Béatrice Lovis dans un numéro récent de la Revue suisse d’art et d’archéologie (vol. 74 de 2017, cahier 3/4), justement consacré à l’histoire et aux collections de l’édifice. Un volume très illustré, auquel plusieurs chercheurs de l’UNIL ont participé.

Laisser un commentaire