Astérix et le véritable bouclier gaulois

Ce soldat est équipé d’un grand bouclier et d’une lance, une arme répandue parmi les Gaulois. Illustrateur et scénariste, Vincent Pompetti a publié La Guerre des Gaules en deux albums (éditions Tartamundo). © Vincent Pompetti

La célèbre BD a façonné notre vision des combats entre Celtes et légionnaires romains. Parfois avec des intuitions géniales, et parfois avec de sacrés anachronismes.

Pour la première fois depuis Le Bouclier arverne (sorti en 1968), Astérix croisera à nouveau le fantôme de Vercingétorix, l’autre combattant gaulois légendaire. Le 24 octobre sort en effet une nouvelle BD intitulée La fille de Vercingétorix, qui reviendra sur ces affrontements farouches entre Gaulois et Romains. Un domaine où la science progresse puisque, ces dernières décennies, notre perception de ces combats a profondément évolué, grâce notamment à une nouvelle technique: l’archéologie expérimentale. Elle consiste à simuler des affrontements de l’Antiquité dans des costumes et avec des armes d’époque. Le point avec un pionnier, le professeur de l’UNIL Thierry Luginbühl.

1. Tous à l’assaut!

C’est un incontournable des albums d’Astérix: cette scène où l’on voit tout le village gaulois – y compris le barde! – regroupé en colonne furieuse derrière le chef Abraracourcix qui se jette contre les légionnaires romains parfaitement alignés, mais terrifiés. Sur leur élan, les Gaulois sèment invariablement la pagaille dans la formation ennemie, qu’elle soit en tortue, en phalange ou en quinconce.

Évidemment, dans la BD, ce choc entre les Gaulois et les Romains ressemble à une caricature. Pourtant, il serait plus réaliste qu’on l’imagine, assure Thierry Luginbühl. «Les sources antiques nous apprennent que les Celtes chargeaient l’ennemi avec toute la furie dont ils étaient capables. Mais les historiens ont longtemps cru que ces textes nous présentaient un cliché de la barbarie. Nous pensons aujourd’hui que c’était la manière la plus rationnelle pour les Gaulois d’utiliser leurs armes. Former un carré ou une colonne d’assaut était la seule tactique susceptible de percer un dispositif militaire linéaire défensif, compact et très organisé comme celui des hoplites grecs ou des légionnaires romains.»

Les Gaulois misaient tout sur le choc initial et frontal. «Quand on porte un équipement comme le leur, avec une épée et un bouclier qui ont été conçus à l’origine pour se battre en duel, on est obligé d’adopter des techniques extrêmement offensives, fondées sur la percussion», note le chercheur qui a participé à une centaine de reconstitutions de batailles en équipements d’époque, et qui a façonné sa vision au cours de ces expérimentations archéologiques (lire l’article).

2. Des coups de boucliers

L’arme qui symbolise le mieux cette agressivité des Gaulois, c’est le bouclier. Alors qu’on voit souvent cette pièce comme un équipement défensif, et qu’elle ne sert qu’à porter le chef Abraracourcix dans les BD, les combattants gaulois en faisaient un usage bien plus diversifié. «En combat individuel, le seul véritablement honorable pour un Celte, les guerriers frappaient avec le tranchant de leurs longs boucliers plats ou avec l’umbo métallique qui renforçait le centre de ces derniers», explique Thierry Luginbühl, qui mentionne encore des sources tardives où l’on parle de têtes qui volent, après avoir été sectionnées d’un coup porté par le tranchant d’un bouclier.

3. Les Gaulois portaient la cotte de mailles

L’épée gauloise traditionnelle était, en revanche, très différente de celle d’Astérix. Alors que le héros de BD porte un glaive romain, court et pointu, les Celtes préféraient des épées plus longues et plus légères, surtout utilisées pour porter des coups du tranchant dans les parties du corps de leur ennemi qui n’étaient pas protégées.

Toutefois, Goscinny et Uderzo n’ont pas tout faux. Les découvertes archéologiques sont en effet venues confirmer l’intuition des auteurs de la BD. Elles montrent que, à l’époque de la guerre des Gaules, les guerriers celtes, et pas seulement Astérix, abandonnent progressivement leurs épées traditionnelles pour adopter le glaive romain.

Les auteurs de la BD ont en revanche été moins inspirés quand ils montrent des légionnaires romains portant des cuirasses (du IIe siècle de notre ère) face à des Gaulois torse nu (Obélix) ou vêtus de tissus (Astérix). La cotte de mailles est en réalité une invention des forgerons celtes, les meilleurs de leur époque, et elles ont d’abord équipé les Gaulois avant que les Romains ne les copient.

Thierry Luginbühl. Professeur à l’Institut d’archéologie et des sciences de l’Antiquité (Faculté des lettres).
Nicole Chuard © UNIL

4. Une potion magique?

Dans un autre moment incontournable d’une aventure d’Astérix, les irréductibles Gaulois utilisent leur arme secrète, cette potion magique préparée par le druide Panoramix qui décuple leurs forces. S’il s’agit là d’une invention des auteurs de la BD, néanmoins inspirée par la réputation antique de la magie celtique, Thierry Luginbühl n’écarte pas forcément cette idée.

«Pour assumer une tactique fondée sur la percussion des troupes adverses, il est nécessaire d’entrer dans un état de furie», explique le professeur à l’Institut d’archéologie et des sciences de l’Antiquité. Il y a néanmoins un équilibre à trouver entre la furie et la discipline, car une colonne ou toute autre formation d’assaut, si elle doit impérativement être «furieuse», doit également demeurer ordonnée pour jouer son rôle. Dans leur système de valeurs, les Gaulois reconnaissaient deux grandes vertus à un combattant: la nert et la ferg. La nert représentait la force morale et physique, tandis que la ferg était la capacité de se mettre en furie, considérée comme un état divin. La situation était très différente dans les armées méditerranéennes, grecques ou romaines, dont les valeurs principales étaient le sang-froid et la discipline collective.

Les Gaulois ont-ils utilisé des substances, des plantes ou des breuvages, pour se mettre dans ces états de furie tant recherchés? Thierry Luginbühl «n’exclut pas cette hypothèse, même si les sources ne nous disent rien à ce propos. »

On sait que les Vikings buvaient de la bière ou de l’hydromel avant de monter au combat, et que les hommes du Nord ont de nombreux points communs avec les Gaulois. Ils avaient des stratégies très similaires, fondées sur la percussion, et considéraient également la mort au combat comme la seule honorable pour un membre des classes guerrières.»

5. Et à la fin, ce sont les Romains qui gagnent…

Nous voyons aujourd’hui les Gaulois comme des perdants magnifiques. La faute à d’innombrables tableaux qui ont montré la reddition de Vercingétorix, venu jeter ses armes aux pieds de César, jusque dans la BD Le bouclier arverne. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Aux IIIe et IIe siècles avant notre ère, les Romains craignaient ces Celtes qui les battaient systématiquement. Les Latins se racontaient le siège de Rome, resté célèbre pour l’épisode du sauvetage du Capitole, quand les cris des oies ont averti les sentinelles romaines de l’approche des guerriers gaulois du roi Brennus. Les guerres des Cimbres ont également frappé les esprits. Nous les connaissons encore aujourd’hui grâce à un autre tableau célèbre, Les Romains passant sous le joug de Charles Gleyre, qui évoque l’humiliation des légionnaires en 107 av. J.-C., suite à la bataille d’Agen remportée par le célèbre chef Helvète Divico.

Mais tout change peu après. Quand Rome nomme à la tête de ses armées le stratège Marius, qui va enfin trouver une tactique gagnante après une longue série de défaites mortifiantes. Avec Marius, la légion est professionnalisée et elle évolue. «À chaque fois que les Gaulois ont remporté une bataille, ils se sont imposés au premier choc, explique Thierry Luginbühl. Quand ils ne parviennent plus à percer les lignes défensives au premier impact, le combat s’enlise et la discipline des légionnaires leur permet de reprendre le dessus. Les Romains ont vite compris qu’il fallait tenir le choc et gérer la furie de leurs ennemis. Les Gaulois ne vont jamais trouver de tactique alternative, et, à l’époque de la Guerre des Gaules, ils ont perdu l’illusion que leur furie peut tout emporter.»

6. Pas si poilus et pas si barbus, les Gaulois

À l’époque d’Astérix, les Gaulois sont bien moins poilus et barbus qu’on ne le croit. «Les documents les plus anciens (IIIe siècle av. J.-C.) parlent souvent de cheveux longs et de grosses moustaches, détaille Thierry Luginbühl. Mais à l’époque de la guerre des Gaules, Vercingétorix apparaît rasé sur ses monnaies, et, quelques décennies plus tard, la statue du Guerrier de Vachères montre un Gaulois qui ressemble à un Romain, rasé de près avec des cheveux courts.» L’explication? Comme pour le choix des épées, il y a eu une évolution chez les Gaulois qui se romanisent progressivement, et se rasent donc de plus près.

Le nouvel album d’Astérix fera apparaître la fille de Vercingétorix avec un torque (ici à la place de la lettre C de Vercingétorix) qui se portait autour du cou et qui était un attribut de pouvoir
chez les Gaulois. Astérix® – Obélix ® – Idéfix® ©2019 Les Éditions Albert René

7. Des filles à torques

Dans le nouvel album d’Astérix, qui sort le 24 octobre et qui est intitulé La fille de Vercingétorix, les auteurs de la BD montrent la fille du célèbre chef arverne avec un torque. Ce bijou, le plus souvent en or torsadé, se portait autour du cou. La parure apparaît vers 250 av. J.-C. et elle est portée par des hommes comme par des femmes, par des humains comme par des divinités. Plus le torque est gros, plus la personne qui le porte est importante.

«C’était vraiment l’attribut de la souveraineté. On le voit systématiquement sur les représentations de divinités, mais, là encore, son importance diminue à l’époque de la guerre des Gaules. Vercingétorix n’en porte pas sur ses monnaies. En revanche, un autre aristocrate gaulois de la même époque, Dumnorix, un Éduen (Bourgogne actuelle), se fait représenter sur ses monnaies avec un casque, un torque, une enseigne en forme de sanglier et une tête coupée qu’il tient à la main. On a donc l’impression que le torque perd de son importance comme marqueur social, et comme signe distinctif de l’aristocratie, mais qu’il était encore conçu comme un symbole du pouvoir», précise Thierry Luginbühl.

8. Les têtes coupées, le scalp des Gaulois

C’est le détail qu’on ne voit jamais dans une BD, et que les scientifiques évoquent avec une prudence de Sioux, parce qu’il gêne. Tout indique en effet que les Gaulois prélevaient les têtes de leurs ennemis tués, un peu comme les Amérindiens récupéraient des scalps. «Ces têtes étaient parfois exposées sur les parois des maisons, et elles étaient également conservées, embaumées dans des caisses en bois que les Gaulois n’échangeaient pas, même au prix de l’or», raconte Thierry Luginbühl.

Cette coutume semble «moins répandue» à l’époque de Vercingétorix, puisqu’aucune source ne le mentionne même si le chef Dumnorix, visiblement plus traditionaliste, semblait perpétuer cette tradition. Ces pratiques, comme celles des sacrifices humains, sont pourtant attestées. Thierry Luginbühl a d’ailleurs dans sa panoplie de répliques une reproduction d’un type de dague rituelle à manche anthropomorphe très probablement utilisé par les druides pour procéder à des sacrifices humains. Les archéologues ont également retrouvé dans les chantiers de fouilles d’innombrables têtes seules, comme d’innombrables corps sans tête.

Le sujet embarrasse d’autant plus qu’il «ne colle pas avec les nouveaux clichés que nous nous faisons désormais des Gaulois, qu’on imagine plus volontiers comme de gentils cueilleurs de gui», suggère le professeur. Reste donc à nos ancêtres, c’est peut-être là leur dernière aventure, à échapper aux clichés, nouveaux comme anciens, pour être enfin considérés tels qu’en eux-mêmes.

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