Et ce sera suffisant…

Dans le cadre du cycle Moins c’est Mieux. organisé par le Centre de compétences en durabilité de l’Université de Lausanne et Romande Energie, la soirée du Mardi 6 février 2024 a porté sur la thématiques des imaginaires de la sobriété et a été le fruit d’une collaboration avec La Maison du Récit et l’Observatoire des récits et imaginaires de l’Anthropocène (ORIA), en partenariat avec les Grands-Parents pour le Climat.

Cette soirée a permis à cent-cinquante personnes, accompagnées de trente facilitateur·rices,  d’explorer l’importance des récits pour engager la transformation écologique et sociale nécessaire à créer un espace sûr et juste pour l’humanité.

Comprendre les imaginaires de la sobriété

Après les mots d’introductions à la fois révolutionnaires et nuancés de nos chers Grands Parents pour le Climat Jacques Dubochet et Jean Martin, la soirée s’est ouvert par une conférence sur les imaginaires de la sobriété.

Colin Pahlisch, coordinateur de l’ORIA et chercheur en Lettres à l’UNIL, nous offre pour commencer une plongée dans l’Antiquité avec l’histoire de Diogène de Sinope, un philosophe qui prônait la simplicité et la liberté en se détachant des possessions matérielles. Cette introduction a mis en lumière l’ancienneté de la réflexion sur la sobriété et a souligné l’importance de l’autolimitation dans notre rapport à la consommation. En s’inspirant de cette figure emblématique, la conférence a invité à repenser nos modes de vie et à questionner la place des biens matériels pour assouvir nos besoins.

Pour quitter la dimension individuelle et explorer ce que pourrait représenter le concept de sobriété appliqué à une société entière, la discussion s’est ensuite poursuivie en rappelant le rôle qu’on toujours joué les histoires et récits dans l’évolution des sociétés humaines et comment la littérature peut par conséquent nous aider a faire face à des enjeux de société. Plus précisément comment la science-fiction peut constituer un outil de réflexion sur le futur de la sobriété. En effet, la science-fiction offre la possibilité de créer des mondes imaginaires où se reflètent les enjeux de notre société actuelle de manière amplifiée, nous permettant de les examiner sous un nouvel angle.

Invoquant la tradition littéraire de l’Utopie, Colin Pahlisch nous invite ensuite à découvrir les représentations de la sobriété à travers 3 motifs littéraires :

  • La Dystopie, le lieu mauvais, dysfonctionnel, cauchemardesque, où la sobriété s’apparente à une société du manque.
  • L’Utopie, le lieu parfait qui n’existe pas, idyllique, où la sobriété s’incarne au travers d’une société d’abondance frugale.
  • La Prototopie, la tentative de lieu, un essai, une première version imparfaite mais fonctionnelle, où une société sobre devrait prendre l’apparence de l’idéal démocratique.

Au travers d’œuvres telles que « Ravage » de René Barjavel, « Ecotopia » d’Ernest Callenbach et « Les Dépossédés » d’Ursula Le Guin, les différentes représentations de la sobriété ont été décryptées en retraçant les fondements philosophiques et politiques sous-jacents à ces visions, et en mentionnant les exemples de la culture populaire où nous pouvons les retrouver.

Ainsi, les récits ont la capacité d’interroger les modèles de consommation et de proposer des alternatives radicales. La science-fiction est devenue un terrain fertile pour explorer les implications de la sobriété et pour stimuler notre imagination quant à des futurs durables et équitables.

En conclusion, la conférence a abordé les valeurs fondamentales nécessaires pour favoriser la transition vers la sobriété. L’empathie, le courage et l’autonomie ont ainsi été présentés comme des vertus essentielles pour repenser nos modes de vie et pour construire une société plus sobre et solidaire, où la sobriété serait synonyme de liberté et d’équité pour tous. C’est à partir de ces trois valeurs que Colin Pahlisch a invité les participant·es à construire leur propre prototopie de la sobriété, lors du second temps de la soirée.

Retrouvez ici le lien vers la vidéo de l’intervention de Colin ainsi qu’une synthèse de la présentation

Si vous voulez en savoir plus sur les récits et imaginaires de l’anthropocène, inscrivez vous à la newsletter de l’ORIA !

Se réapproprier le geste de la création artistique

Après une courte pause les cent-cinquante participant·es se sont donc livré·es à une expérience de création de récits collectifs, à l’invitation de Katia Delay, directrice de la Maison du Récit. L’objectif premier était qu’ils et elles se réapproprient le geste de la création artistique pour créer une vision future désirable de la sobriété.

Ainsi, à partir d’un voyage introspectif vers un souvenir les reconnectant avec un moment simple et frugal de leur vie, elles et ils ont réalisé un nuage de mots sur la notion de sobriété, ainsi que plus de cent-cinquante histoires individuelles (dont un peu plus de la moitié sont éditées ici) à propos de « ce qui est suffisant ». A partir de cela, les participant.es ont travaillé en sous-groupes de cinq à six personnes pour faire émerger trente-huit récits collectifs, dont vingt-six ont été lus sur scène et enregistrés pour former une œuvre audio. Enfin, ces créations se sont retrouvées fusionnées lors d’un jeu de cadavres exquis, pour donner neuf compositions originales qui expriment la quintessence de ce moment d’expérimentation et de création collectives.

L’œuvre finale, principalement sonore, a créé des émotions agissant comme un élan vers une soif de simplicité et de sobriété. Et l’émotion, étymologiquement, c’est ce qui met en mouvement.


« Le dispositif de cette création collective a été pensé avec l’idée que c’est bien cette soif qu’il s’agit d’étancher pour un changement de fond. Pas la culpabilité. Pas le sentiment d’obligation. Pas le prescriptif, ni l’exigence imposée, ni le mode d’être uniforme, ni la besogne démotivante. Mais bien le souhait, le souffle, l’aspiration désirante, créatrice, émouvante et joyeuse. »

— Katia Delay, directrice de la Maison du Récit.

Nous remercions chaleureusement toutes les personnes qui ont participé à cette soirée, qui ont partagé un souvenir et une émotion pour nourrir une aspiration collective à « ce qui est suffisant. »

Retrouver ici l’enregistrement des récits collectifs :

Ainsi que des cadavres exquis :

Et finalement, voilà la retranscription de tous ces récits qui, nous l’espérons, pourront inspirer une mise en œuvre aussi concrète que poétique de la sobriété dans nos modes de vie.

Petit bonus pour celles et ceux qui ont encore soif de sobriété, voici un générateur de récits qui compose un cadavre exquis aléatoirement à partir de 3 phrases, chacune issue de l’un de tous les récits créés lors de cette soirée. Il y a au total 1 191 016 possibilités de récits différents, sur lequel tomberez vous ?

Générateur de récit