Les belles époques de Dominique Kalifa. Retour sur une œuvre d’historien
9, 10 et 11 décembre 2021
Centre Sorbonne, 17, rue de la Sorbonne, 75005 Paris
Les propositions de communication seront envoyées avant le 1er juin 2021 à Sophie.Lhermitte@univ-paris1.fr
Elles devront comporter un titre, un résumé de la proposition ainsi que les sources envisagées (une page maximum). Le comité scientifique donnera sa réponse avant la fin du mois de juin.
Argumentaire
Commencée à la fin des années 1980, l’œuvre scientifique de Dominique Kalifa se déploie sur trois décennies ; par son ambition comme par son originalité, elle ouvre et/ou accompagne nombre des transformations de l’historiographie du XIXe siècle (entendu dans le sens élargi que lui assignait Dominique Kalifa, qui n’hésitait pas à prolonger l’âge des révolutions, de l’urbanisation et de l’industrialisation jusqu’aux guerres mondiales et aux grandes ruptures du milieu du XXe siècle). S’il s’est d’abord fait reconnaître comme un pionnier de l’histoire du crime, des faits divers et des médias, auxquels il avait consacré sa thèse (L’Encre et le sang. Récits de crime et société à la Belle Époque, Fayard, 1995) et son habilitation (Naissance de la police privée, 2000 ; Crime et culture au XIXe siècle, 2002), s’il n’a jamais renoncé à explorer ce vaste et fécond champ d’enquête sous la forme d’écrits personnels, de travaux collectifs ou de directions de recherche, Dominique Kalifa ne s’est pas contenté d’une spécialité thématique, et il a su diversifier ses objets au gré de ses curiosités et des opportunités, accompagnant et suscitant des recherches doctorales particulièrement variées et novatrices, voyageant lui-même des « Bat d’Af’ » (Biribi. Les bagnes coloniaux de l’armée française, Perrin, 2009) aux mauvais quartiers (Les Bas-Fonds. Histoire d’un imaginaire, Seuil, 2013), des amoureux qui « s’bécotent » sous les ponts de Paris (Paris, une histoire érotique, Payot, 2018) aux fastes réinventés des années 1900 (La véritable histoire de la Belle Époque, Fayard, 2017).
Faisant suite aux nombreux et émouvants hommages qui ont suivi la disparition brutale de Dominique Kalifa à la toute fin de l’été 2020, le colloque organisé par le Centre d’Histoire du XIXe siècle, dont il fut le co-directeur pendant près de vingt ans, a pour ambition de relire l’œuvre de l’historien, d’en distinguer les nuances et les inflexions, d’en éclaircir les héritages et les prolongements, d’en discuter les apports et les défis. En fidélité à son enseignement, il s’agit d’ouvrir un véritable débat historiographique sur la portée d’une œuvre qui s’est construite au tournant des XXe et XXIe siècles.
Sans réduire a priori le cadre des contributions, nous voudrions indiquer quelques axes qui pourraient irriguer et structurer la réflexion d’ensemble. Par-delà la diversité des objets de recherche de Dominique Kalifa, quelques points centraux mériteront des éclairages spécifiques, qu’il s’agisse de la criminalité et de ses représentations, des cultures populaires en général (et de Fantômas en particulier) ou de cette « civilisation du journal » qui naît avec l’entrée dans un âge médiatique. Si l’on pourra de la même manière prolonger l’enquête collective sur les chrononymes (Les noms d’époque. De « Restauration » à « années de plomb », Gallimard, 2020), il faudra surtout revenir sur la « Belle Époque », mais aussi sur Paris, terrain d’enquête privilégié (et qui aurait dû trouver une place de choix dans les nouvelles recherches que préparait Dominique Kalifa autour de la rue, espace de rencontres et de mise en spectacle de la vie urbaine).
Au-delà des objets d’étude spécifiques, l’oeuvre de Dominique Kalifa se caractérise par la mise en œuvre (et par la mise en discussion) de grands principes méthodologiques, au premier rang desquels figure sans doute la notion d’ « imaginaire social », qui lui permet de dépasser l’opposition traditionnelle entre histoire culturelle et histoire sociale et de faire évoluer la dynamique ancienne de l’histoire des représentations et des « mentalités ». Avec une vingtaine d’années de recul et à la lumière des travaux accomplis, il sera nécessaire de revenir sur les apports et sur les limites de cette proposition épistémologique qui fit l’objet de vifs débats.
Autre élément saillant, le recours à une très grande diversité de sources. Outre l’archive, Dominique Kalifa a voulu réévaluer la valeur spécifique de l’imprimé – en particulier de cette littérature populaire de grande diffusion qui était souvent méconnue ou méprisée. Attentif aux apports de la chanson, de l’histoire matérielle et monumentale, il a surtout contribué à la prise en compte historienne de l’image, dont il fut un actif promoteur. Suivre les itinéraires documentaires de Dominique Kalifa devrait ainsi permettre de mieux comprendre les transformations de l’usage des sources au cours des dernières décennies.
Par sa dimension internationale et collective, l’oeuvre de Dominique Kalifa reflète quelques-unes des grandes mutations récentes du métier d’historien. C’est peut-être davantage comme passeur que comme patricien qu’il a contribué à l’élargissement des horizons historiographiques, par-delà les frontières nationales et les cloisonnements. Pour comprendre ce cheminement, il faudra reconstituer l’espace des mobilités institutionnelles et amicales (du Japon au Mexique, en passant par l’Italie, la Russie, les États-Unis ou le Brésil, etc.), ainsi que le travail de lectures (dont témoignent, outre les notes de bas de page et les recommandations de séminaire, les nombreux comptes-rendus publiés dans Libération). C’est dire aussi combien l’oeuvre de Dominique Kalifa s’inscrit, par choix et par nécessité, dans une pratique collective qui est devenue l’ordinaire du métier d’historien mais qui mériterait d’être explicitée : directeur de laboratoire et même d’école doctorale, vice-président du CNU, organisateur de colloques, directeur d’ouvrages, membre de conseils de rédaction… toutes ces fonctions font partie d’une activité professionnelle foisonnante dont on veut croire qu’elle laisse une trace sur l’oeuvre.
On n’oubliera pas, enfin, les facettes les plus personnelles et marquantes de celui qui fut avant tout un professeur et un écrivain. Dominique Kalifa a enseigné en lycée, en licence, en master et en doctorat ; revenir sur la diversité de ces expériences et sur l’évolution de ses pratiques pédagogiques doit servir à éclairer une autre composante fondamentale de son œuvre. Quant à son écriture historienne, saluée par ses lecteurs, elle dépasse le simple goût du style et participe d’une véritable ambition littéraire et d’une volonté d’écrire et de diffuser l’histoire de manière innovante, ce qui fait écho aux débats renouvelés des deux dernières décennies sur l’articulation histoire-littérature. Dominique Kalifa a également joué un rôle actif en matière de médiation, qu’il s’agisse de radio, de télévision, d’expositions dont il assura le commissariat : ces aspects parfois occultés mériteront d’être présentés et discutés.
Ce colloque qui se prolongera par une publication ne veut être ni un recueil de témoignages, ni un volume de « mélanges » ; il entend rendre hommage à la mémoire de Dominique Kalifa en discutant ce qu’il nous a laissé : une œuvre.
Comité scientifique :
Philippe Artières (CNRS, EHESS), Fabrice Bensimon (Centre d’histoire du XIXe siècle, Sorbonne Université), Philippe Boutry (Centre d’histoire du XIXe siècle – Université Paris 1), Lila Caimari (Université de San Andrés, Buenos Aires), Jean-Claude Caron (Professeur émérite, Université Clermont Auvergne), Stéphane Gerson (French Studies, and History, NYU), Arnaud Houte (Centre d’histoire du XIXe siècle, Sorbonne Université) Isabel Lustosa (Centre des Humanitées (CHAM), de Universidade Nova de Lisboa), John Merriman (Université de Yale), Marie-Eve Thérenty (Université de Montpellier 3), Myriam Tsikounas (Centre d’histoire du XIXe siècle-ISOR, Université Paris 1).
Comité d’organisation : Solène Amice Centre d’histoire du XIXe siècle, Université Paris 1), Laurent Bihl (Centre d’histoire du XIXe siècle -ISOR, Université Paris 1), Jacques-Olivier Boudon (Centre d’histoire du XIXe siècle –Sorbonne Université), Léo Dumont (Centre d’histoire du XIXe siècle, Université Paris 1), Eric Fournier (Centre d’histoire du XIXe siècle, Université Paris 1), Rémy Hême de Lacotte (Centre d’histoire du XIXe siècle –Sorbonne Université), Sophie Mahroug (Centre d’histoire du XIXe siècle –Sorbonne Université), Sophie Lhermitte (Centre d’histoire du XIXe siècle, Université Paris 1), Pierre Porcher (Centre d’histoire du XIXe siècle –Sorbonne Université), Bertrand Tillier (Centre d’histoire du XIXe siècle –Université Paris 1), Charles-Éloi Vial (Centre d’histoire du XIXe siècle –BNF).