Sophie Jolidon, Marine Vallez
I – Introduction
Présentation du sujet et éléments contextuels
Ce travail a pour sujet les exportations d’armes suisses pendant la Guerre froide. En analysant les archives de deux quotidiens romands, Le journal de Genève et La gazette de Lausanne, nous allons étudier la perception de ces exportations qui ont parfois fait remettre en cause la neutralité de la Suisse dans la presse de l’époque.
Les exportations d’armes suisses débutent véritablement après la Première Guerre mondiale. La production d’armes étant alors interdite en Allemagne par le traité de Versailles signé en 1919, il y a eu une importation massive de la technologie allemande en Suisse. Dès les années 20, plusieurs fabricants suisses se mirent à exporter des armes, provoquant ainsi de nombreux débats politiques.
En 1938, suite à ces débats et à une initiative populaire, l’industrie privée de l’armement est mise sous le contrôle de la Confédération [1], qui interdit l’exportation d’armes au début de la Seconde Guerre mondiale. Cependant, entre 1940 et 1944, la Suisse laisse plusieurs entreprises livrer du matériel de guerre à l’Allemagne et à l’Italie, et se montre plutôt négligente vis-à-vis du contrôle des trafics entre ces deux pays [2]. La Suisse étant officiellement un pays neutre depuis 1815, elle a donc enfreint la convention de la Haye de 1907, qui régit le comportement des Etats neutres en cas de conflit.
À la suite d’une interdiction d’exportation de matériel de guerre entre 1944 et 1949, la Suisse se remit à exporter des armes vers les pays du bloc de l’ouest [4]. Pendant la Guerre froide, le gouvernement suisse appliqua une politique extérieure basée sur une interprétation très stricte du concept de neutralité. La «doctrine de Bindschedler», qui définit le concept de neutralité politique, militaire et économique et selon laquelle la Suisse se doit de n’adhérer à aucune organisation internationale et de ne participer à aucune union économique [3], servit longtemps de « doctrine officielle » de la neutralité suisse. Toutefois, certains actes, comme le Hotz-Linder-Agreement par lequel la Suisse accepte de se lier à l’embargo contre les Etats communistes, rendent l’interprétation de la neutralité plus complexe [2].
La guerre froide fut également la période de plusieurs scandales liés au commerce d’armes suisses, qui firent remettre en cause la neutralité du pays. C’est en partie sur ces scandales que nous comptons baser notre étude, en analysant les réactions qu’ils ont provoquées dans la presse.
Tout d’abord l’affaire Bührle fut l’un des premiers scandales liés aux armes suisses de cette période. En 1967, le Conseil fédéral avait interdit les exportations d’armes en direction du Nigeria à cause de la guerre civile qui s’était abattue sur le pays suite à son indépendance. La société Bührle a malgré tout vendu une centaine de canons anti-aériens, en les faisant transiter par l’Ethiopie. Il fut découvert par la suite que Bührle avait enfreint beaucoup d’autres embargos, notamment celui avec l’Afrique du Sud, vers où l’exportation était interdite depuis 1963 [5].
Suite à ce scandale, une loi contre les exportations d’armes fut proposée en 1972, mais elle sera rejetée, en recueillant néanmoins 49.5% de votes favorables. Elle donnera toutefois naissance à une loi en 1973 interdisant les exportations d’armes vers les pays en guerre. Cette votation, et la façon dont elle est traitée par les journaux, sera également un point intéressant pour cette étude [2].
Les années 70 furent le théâtre d’un autre scandale, l’affaire Pilatus. Cette entreprise, appartenant à Oerlikon-Bührle, exportait des avions vers le Guatemala, la Birmanie, le Mexique et la Bolivie, à première vue en toute légalité. C’est un journaliste de Tout va bien Hebdo, une revue de contre-information et de lutte de gauche, qui révéla que ces avions, notamment les modèles PC-6 et PC-7, étaient équipés de points d’ancrage qui permettaient de facilement les convertir en bombardiers [4].
Fig. 1 Dates-clés
Informations sur le corpus et les ressources bibliographiques
Notre étude s’appuiera sur un corpus formé de deux journaux de la presse romande, La gazette de Lausanne et Le journal de Genève. La période qui nous intéresse pour cette analyse est celle de la guerre froide, ainsi le corpus sera réduit aux articles parus entre 1945 et 1991. Nous remarquons que, pour les sujets qui nous intéressent, les articles trouvés dans ces journaux sont généralement assez courts, avec peu d’articles de fonds. Nous remarquons également que certains articles trouvés sont en fait un appel au vote pour l’initiative populaire contre les exportations d’armes. Cela montre l’importance du débat public à ce sujet dans la presse. Une analyse plus précise du corpus est donnée en partie 3.
Pour mieux comprendre le contexte de notre étude, nous nous sommes appuyés sur une littérature secondaire composée de trois livres, d’un article de revue et d’un ensemble de rapports scientifiques. Cette littérature secondaire est également complétée par des articles en ligne provenant des documents diplomatiques suisses [5] et du dictionnaire historique de la Suisse [1]?. Ces derniers fournissent des informations peu de?taille?es mais sont un excellent moyen de se familiariser avec le contexte pour de?buter notre e?tude. Ainsi l’article du dictionnaire historique pre?sente l’histoire de l’armement en Suisse tandis que celui des documents diplomatiques revient sur de scandale de l’affaire Bu?hrle.
Le premier livre de notre littérature secondaire revient lui aussi sur un scandale qui nous intéresse, celui de l’affaire Pilatus [4]. Bien que ce livre s’intéresse principalement à cette affaire, il permet également de mieux comprendre le débat autour des exportations d’arme en Suisse. Un second ouvrage [6] présente plus en détail les relations entre la Suisse et le Nigeria entre 1930 et 1980, en détaillant notamment les relations militaires et l’affaire Bührle. Un troisième livre [7] est lui véritablement axé sur l’armement suisse et le commerce de matériel de guerre pendant la guerre froide. Nous avons également trouvé un article paru dans la revue “Cold War History” [8] qui traite en détail du commerce d’armes suisses et de la neutralité pendant la guerre froide, exactement notre sujet. Enfin, un ensemble de rapports sur la politique et l’économie suisse a été trouvé [9]. Ces derniers analysent, entre autres, les exportations d’armes. Ces rapports, disponibles depuis 1981, sont annuels et fournissent également les chiffres (Montants des ventes et destinataires) liés aux exportations de matériel de guerre.
II – Méthodologie
Aspects techniques
Nettoyage des archives
Nous avons commencé par le nettoyage des archives, pour pouvoir trier les données que nous avions à disposition. Cette étape nous permet de pouvoir nous concentrer sur les fichiers les plus en rapport avec notre sujet de recherche. Nous avons utilisé un script Python, fourni par un autre groupe10, que nous avons modifié pour qu’il corresponde plus à notre thème. Ce script parcourt tous les textes et n’en garde que les parties intéressantes, c’est-à-dire les articles les plus liés à notre sujet. Il produit ensuite un fichier contenant tous ces articles, dans un format lisible par le logiciel Iramuteq, que nous avons ensuite utilisé pour créer différents graphes.
Sélection des mots-clés optimaux
Pour pouvoir augmenter la précision de notre recherche, nous avons décidé de nous concentrer sur un seul événement notable à la fois, parmi ceux que nous avions cités dans notre « contexte historique ». Nous avons donc générés nos graphes en deux temps : d’abord avec les mots-clés en rapport avec l’affaire Bührle, puis avec ceux en rapport avec l’affaire Pilatus.
Graphes
Les graphes générés grâce à Iramuteq nous permettent de pouvoir mieux visualiser les mots qui apparaissent dans les articles sélectionnés par notre script. Les nuages de mots sont une bonne première étape pour juger de la spécificité de nos mots-clés. Ensuite, en utilisant les n-grams, on peut plus facilement visualiser la période historique qui contient beaucoup de mots de notre corpus. Enfin, la génération de phylogrammes nous permet de mieux nous rendre compte de la substance des articles trouvés par le scripts, en visualisant les mots-clés par catégories.
Affaire Bührle
Affaire Bührle : choix de la période
Tout d’abord, nous avons dû réfléchir aux années que nous souhaitions analyser.
Naturellement, nous avons décidé de nous centrer sur l’année 1968, année de parution du tout premier article de presse lié au scandale Bührle.
Il nous a fallu ensuite choisir quel intervalle de temps utiliser. Pour cela, nous nous sommes aidées des N-grams générés par le site du Temps.
Pour initier cette analyse, l’année 1964 a été choisie. Cela nous permettait de garder un nombre d’années (et donc d’articles) suffisant et d’inclure toute la période où le nombre d’occurrences semble augmenter.
Ensuite, l’année 1974 fut choisie pour clore cette analyse. Cela nous permet d’inclure toute la partie à haute occurrence suivant l’année du scandale, sans être trop large pour autant.
Affaire Bührle : choix des mots-clés
Pour garder un corpus relativement restrictif, et pour ne pas rencontrer trop d’articles parasites, nous n’avons gardé que les articles comprenant les mots clés « Bührle » et « Buhrle ».
Bührle : sous-corpus
Nous avons décidé de diviser ce corpus centré autour de l’affaire Bührle en deux sous-corpus: les articles situés avant et après l’année où l’affaire Bührle fut révélée au grand jour.
En effet, cela nous permettra une analyse davantage comparative sur la fréquence, les thèmes et les associations de mots avant et après le scandale.
Bührle : résumé des corpus finaux
Affaire Bührle | Corpus 1 : Avant | Corpus 2 : Après |
Période analysée | 1964-1968 | 1968-1974 |
Nombre d’articles dans le corpus | 10 articles | 67 articles |
Mots clés utilisés | Bührle, Buhrle | Bührle, Buhrle |
Affaire Bührle : génération des graphes avec Iramuteq
Nous avons ensuite, pour chaque sous-corpus, obtenu différent graphes grâce à Iramuteq.
Affaire Pilatus
Pilatus : tri des mots-clés et génération des graphes avec Iramuteq
Pour faire le tri dans nos mots-clés, nous avons procédé par catégories, afin de pouvoir les trier de manière plus objective. Nous avons commencé par créer trois grandes catégories : noms de lieux, noms propres et termes techniques.
Noms de lieux | Noms propres | Termes techniques |
Suisse | Pilatus | PC-6 |
Birmanie | Bührle-Oerlikon | PC-7 |
Guatemala | Bombardiers | |
Mexique | Points d’ancrage | |
Stans (siège de Pilatus) | Bombes |
Pour les noms de lieux, nous avons bien sûr gardé « Suisse », mais avons en revanche éliminé le terme « Stans » qui apparaissait rarement dans les articles. Nous avons ensuite pensé que garder quatre noms de pays en plus de la Suisse pourrait nous donner un trop grand nombre de résultats liés à des affaires internationales peu en rapport avec notre sujet. Nous avons donc décidé de n’en garder que deux : « Birmanie » et « Guatemala ».
Pour les noms propres, nous avons pensé que le fait d’inclure « Bührle-Oerlikon » pourrait nous diriger vers des articles liés à l’affaire Bührle de la fin des années 60, ce qui pourrait diminuer la précision de nos résultats. Nous avons donc gardé uniquement « Pilatus ».
Finalement, pour ce qui est des termes techniques, nous étions sûres de garder « PC-6 » et « PC-7 », comme ce sont les noms des appareils Pilatus touchés par le scandale. « Bombardiers » et « points d’ancrage » sont deux termes que nous avons souvent pu voir lors de la rédaction de notre contexte historique, nous les avons donc également conservés. En revanche « bombes » nous a semblé trop général, surtout en période de guerre froide.
Nous avons ensuite utilisé Iramuteq pour obtenir quelques graphes. Ces graphes nous ont tout d’abord servi à optimiser nos listes de mots-clés. En effet, après avoir généré un premier nuage de mots, nous nous sommes rendues compte que notre corpus n’était pas assez restrictif : nous avions beaucoup de mots peu en rapport avec notre thématique. Après avoir mieux réfléchi à nos mots-clés, nous avons à nouveau généré des graphes. Ces derniers contenant des mots beaucoup plus spécifiques (Pilatus, militaire, pilote, avion, berner, aviation, armement), nous avons décidé d’utiliser ce nouveau corpus, beaucoup plus restrictif, pour notre travail. Ainsi, nous n’avons finalement gardé que les articles comprenant les mots : « Pilatus, PC-6 ou PC-7 ».
Pilatus : choix de la période
A nouveau, nous avons dû réfléchir aux années que nous souhaitions analyser.
Nous avons décidé cette fois de nous centrer sur l’année 1978, année où le scandale lié à l’affaire Pilatus est apparu au grand jour.
L’intervalle de temps a été définie à l’aide N-grams générés par le site du Temps.
L’année 1974 fut choisie pour initier cette analyse, tout d’abord car elle se situe juste avant un pic d’augmentation du nombre d’occurrences, mais également pour garder un nombre d’articles suffisant pour l’analyse.
Ensuite, l’année 1985 fut choisie pour clore cette analyse. En effet, cela nous permet d’inclure dans notre analyse deux pics d’augmentations du nombre d’occurrence du mot Pilatus (1981 et 1985) dans les articles de presse après l’année du scandale.
Pilatus : sous-corpus
Comme pour l’affaire Bührle, nous avons divisé ce corpus en 2 sous-corpus: les articles situés avant et après l’année du scandale de l’affaire Pilatus.
Pilatus : résumé des corpus finaux
Affaire Pilatus | Corpus 1 : Avant | Corpus 2 : Après |
Période analysée | 1974-1978 | 1978-1985 |
Nombre d’articles dans le corpus | 20 articles | 124 articles |
Mots clés utilisés | Pilatus, PC-6, PC-7 | Pilatus, PC-6, PC-7 |
Exemples de graphes
Nous présentons ici différents graphes obtenus grâce à Iramuteq pour l’affaire Pilatus, avant séparation du corpus en deux, à titre d’exemple. Pour cette partie explicative, la période sélectionnée a été 1974-1982 (soit 4 ans avant et 4 ans après l’affaire).
Tout d’abord, les nuages de mots, comme celui-ci, nous ont permis de vérifier que nos mots clés semblaient suffisamment restrictifs:
Fig. 6 Exemple – Nuage de mot obtenu pour l’affaire Pilatus entre 1974 et 1982
Ensuite, le génération de phylogrammes, comme ci-dessous, permettant de classer les mots présents dans notre sous-corpus par “catégories” nous a semblé intéressant.
Fig. 7 Exemple – Phylogramme obtenu pour l’affaire Pilatus entre 1974 et 1982
Finalement, le dernier graphe que nous avons souhaité sélectionner pour notre analyse comparative fut un arbre. En effet les arbres nous ont semblé intéressant pour mieux se rendre compte des mots directement liés aux affaires étudiées, ainsi que des relations entre les différents sujets.
Fig. 8 Exemple – Arbre obtenu pour l’affaire Pilatus entre 1974 et 1982
III – Interprétation
Explication et interprétation des résultats de la recherche
Afin de permettre une analyse comparative centrée autour des deux principaux scandales liés aux exportations de matériel de guerre helvétique, Bührle et Pilatus, nous avons décidé d’étudier à chaque fois le période précédent et la période suivant le scandale. Cette analyse est basée sur la fréquence des mots rencontrés dans les articles du Journal de Genève et de la Gazette de Lausanne, sur les thèmes abordés dans les articles ainsi que sur les associations de mots.
Affaire Bührle
Bührle : résumé des corpus finaux
Affaire Bührle | Corpus 1 : Avant | Corpus 2 : Après |
Période analysée | 1964-1968 | 1968-1974 |
Nombre d’articles dans le corpus | 10 articles | 67 articles |
Mots clés utilisés | Bührle, Buhrle | Bührle, Buhrle |
Nous voyons déjà des différences évidentes en comparant la liste des 20 mots les plus présents dans les articles pour les deux périodes. Avant le scandale, les mots associés à l’entreprise Bührle semblent être uniquement d’ordre administratifs, avec aucun mot lié au sujet des armes. En revanche, lorsque l’on regarde la période suivant l’année où a explosé le scandale, les résultats sont tout autre. En effet, le 2ème mot le plus présent à travers les articles (comprenant tous le mot Bührle), immédiatement après le mot ‘suisse’, se trouve être le mot ‘arme’. De plus, dans cette liste se trouve également les mots ‘exportations’, ‘affaire’, ‘militaire’, et ‘guerre’. Le mot ‘initiative’ semble également bien présent, probablement dû à l’initiative populaire contre l’exportation d’armes (votée en 1972).
Cela nous montre que non seulement le dévoilement de l’affaire Bührle a changé l’image de ‘la grande entreprise’ en une image d’entreprise liée aux trafic et exportations d’armes, mais également que le scandale semble directement liée à la mise en place de l’initiative populaire contre les exportations d’arme.
Avant 1968 | Après 1968 |
Fig. 15 Phylogramme obtenu pour l’affaire Bührle avant 1968 |
Fig. 16 Phylogramme obtenu pour l’affaire Bührle après 1968 |
Ces phylogrammes classent les mots présents dans nos corpus par catégories et présentent les proportions et les mots les plus fréquents de chaque classe. Avant le scandale, les catégories 2 (en vert) et 3 (en turquoise) semblent être plus d’ordre administratif et financier. La catégorie 1 (en rouge) semble liée au thème de l’industrie et la catégorie 4 (en violet) semble contenir tout le ‘reste’. Rien qui ne semble vraiment lié à notre sujet.
En revanche, pour la période après 1968, si les catégories 1 (rouge) et 4 (violet) restent à nouveau générales et peu axées sur notre thème, les catégories 2 et 3 semblent en revanche beaucoup plus intéressantes. Tout d’abord, la catégorie 2 (en vert), qui représente une proportion de 28%, semble précisément liée aux exportations d’armes : les trois mots les plus fréquents sont ‘arme’, ‘exportation’ et ‘pays’. On remarque alors que des mots forts sont employés pour décrire cette affaire (grave, scandale), et l’on remarque à nouveau une réelle volonté de faire changer les choses à l’aide d’une régulation plus ferme. Enfin, la catégorie 3 (turquoise) semble plus axée sur la politique. Cette catégorie semble également liée à la votation, et aux différentes opinions politiques à ce sujet.
Avant 1968 | Après 1968 |
Fig. 17 Arbre obtenu pour l’affaire Bührle avant 1968 |
Fig. 18 Arbre obtenu pour l’affaire Bührle après 1968 |
Enfin, les arbres présentés ci-dessus permettent de mieux se rendre compte des associations de mots. A nouveau, avant l’affaire, les principaux nœuds sont présents autour de mots généraux comme ‘suisse’, ‘société’, ‘capital’ ou ‘bénéfice’.
En revanche, après l’affaire, des nœuds beaucoup plus intéressants apparaissent : un nœud centré autour du mot ‘exportation’, ainsi qu’un petit nœud centré autour du mot ‘initiative’. On observe également un nœud centré sur le mot ‘arme’, et finalement, un nœud centré sur le mot ‘conseil’ avec autour des mots tels que ‘proposition’ ou ‘berner’, et un nœud centré sur le mot ‘fédéral’, entouré entre autres des mots ‘procès’ et ‘doute’.
Tout cela nous montre à quelle point le scandale a éveillé chez les gens et dans la presse une sensation de trahison effectuée par l’entreprise, ainsi qu’une forte envie de participer à la mise en place de la votation, dans le but d’abolir ces dérives (votation qui fut finalement rejetée, avec seulement 49.5% de votes favorables).
Cela semble également bien illustré par l’article présenté ci-dessous:
Fig. 19 Exemple d’article montrant l’opinion publique
Affaire Pilatus
Pilatus : résumé des corpus finaux
Affaire Pilatus | Corpus 1 : Avant | Corpus 2 : Après |
Période analysée | 1974-1978 | 1978-1985 |
Nombre d’articles dans le corpus | 20 articles | 124 articles |
Mots clés utilisés | Pilatus, PC-6, PC-7 | Pilatus, PC-6, PC-7 |
Nous pouvons voir que dans la liste de gauche, nous avons surtout des mots se rapportant au domaine de l’aviation, des noms de pays et des mots très généraux (« voir », « aller »,…). On remarque tout de suite une différence en lisant la liste de droite : en effet, on voit apparaître des mots pouvant évoquer le scandale, ainsi que des mots appartenant plutôt au thème des relations internationales, ce qui laisse deviner qu’il y a des articles en rapport avec l’affaire Pilatus dans le corpus d’après 1978.
Avant 1978 | Après 1978 |
Fig. 26 Phylogramme obtenu pour l’affaire Pilatus avant 1978 |
Fig. 27 Phylogramme obtenu pour l’affaire Pilatus après 1978 |
Dans ces 2 phylogram, nous pouvons voir que la classe 2 (en vert) contient des mots-clés se rapportant à Pilatus et à l’industrie de l’aviation, tandis que la classe 4 (en violet) rassemble des mots-clés qui semblent être plus en rapport avec la montagne et le tourisme. La liste 3 (en bleu) contient tout d’abord des mots plus en rapport avec les relations internationales, puis, après 1978, avec les domaines de l’aérospatial et de l’aviation. Finalement la liste 1 (en rouge) est celle qui change le plus : on passe de mots peu en rapport avec notre sujet (« tchad », …), à des mots en rapport avec le gouvernement suisse.
Avant 1978 | Après 1978 |
Fig. 28 Arbre obtenu pour l’affaire Pilatus avant 1978 |
Fig. 29 Arbre obtenu pour l’affaire Pilatus après 1978 |
Finalement c’est dans ces 2 arbres que l’on remarque la plus grande différence entre avant et après 1978. On passe d’un arbre très épuré, avec un seul noyau centré autour d’un mot-clé très général, bien qu’en rapport avec notre sujet, à un arbre beaucoup plus précis. En effet dans l’arbre de droite, on retrouve des mots-clés beaucoup plus précis et en rapport avec notre thème.
IV – Conclusion
Avantages et limites de la visualisation produite pour l’analyse historique
L’avantage de la visualisation produite est son importante part visuelle : on observe les différents phénomènes en un simple coup d’œil, et on peut tout de suite avoir une vue d’ensemble sur l’événement ou la période choisie.
Les limitations de cette méthode viennent de son caractère plus subjectif. Les visualisations sont générées à partir de mots-clés sélectionnés à l’avance. Or, il peut être difficile de choisir ces derniers de manière objective ; cela amène une part de subjectivité dans la visualisation finale. On ne sait jamais si un mot est présent dans une liste par hasard ou s’il a un véritable lien avec notre corpus. Il faut garder cela en tête lors de la lecture de cette interprétation des résultats.
En ce qui concerne l’affaire Bührle, nous avons pu constater un net changement en comparant les mots-clés les plus présents dans la presse avant et après le scandale. En effet, nous avons observé que l’affaire a visiblement affecté l’image de l’entreprise dans la presse, et que la fréquence des mots-clés liés au domaine de l’armement a fortement augmenté. On remarque également une forte volonté de faire changer les choses, qui mènera à la votation de 1972.
Pour ce qui est de l’affaire Pilatus, nous avons non seulement une évolution du type de mots-clés vers un vocabulaire évoquant un scandale de portée internationale, mais également des changements vis-à-vis de la spécificité du corpus. En effet, on peut remarquer que les mot-clés deviennent beaucoup plus spécifiques après le scandale (PC-6, PC-7, etc…).
Références
Notes
[1] Hug, 2010 [2] Riklin, 2010 [3] Bindschedler, 1954 [4] Pellaux, 2008 [5] “e-Dossier: Les 50 ans de l’affaire Bührle”, Diplomatische Dokumente der Schweiz, 2018 [6] Page, 2016 [7] Hug, 2002 [8] Wyss, 2012 [9] Egger, 1984 [10] https://c4science.ch/source/Shs/Bibliographie
Littérature secondaire :
- Egger, Monika, « II. Politique économique extérieure », Annuaire suisse de politique de développement, 1984
- Hug, Peter, Schweizer RüStungsindustrie Und Kriegsmaterialhandel Zur Zeit Des Nationalsozialismus : Unternehmensstrategien – Marktentwicklung – Politische ÜBerwachung, Zürich : Chronos, 2002
- Page, Steve, Le Nigeria et la Suisse, des affaires d’indépendance: Commerce, diplomatie et coopération 1930-1980, Peter Lang, 2016
- Pellaux, Jean-Marie, L’affaire Pilatus : Les Milieux Engagés Et La Suisse Officielle Face Aux Exportations D’armes (1978-1985), Fribourg : Université De Fribourg, 2008
- Wyss, Marco, “Neutrality in the Early Cold War: Swiss Arms Imports and Neutrality.” Cold War History, vol. 12, no. 1, 2012, pp. 25–49
Autres sources d’informations :
- Bindschedler, Rudolf, “Der Begriff der Neutralität”, Diplomatische Dokumente der Schweiz, 1954
- Hug, Peter, “Production et commerce d’arme”, Dictionnaire historique de la Suisse, 2010
- Riklin, Alois, “Neutralité”, Dictionnaire historique de la Suisse, 2010
- “e-Dossier: Les 50 ans de l’affaire Bührle”, Diplomatische Dokumente der Schweiz, 2018
- https://c4science.ch/source/Shs/