Introduction · Corpus · Méthodologie · Résultats · Interprétation · Avantages et limites · Conclusion
Auteurs : Boris Flückiger, Faustine Ginoux, Yuxiang Li
La Suisse est souvent perçue comme l’État incarnant la neutralité par excellence, et ce depuis le Congrès de Vienne en 1815 où est conclu sa neutralité perpétuelle. Axe central de sa politique extérieure, la neutralité devient un élément constitutif de l’identité suisse.
N’ayant pas été strictement respectée durant la Seconde Guerre mondiale notamment sur le plan financier, la politique de neutralité suisse est remise en question pendant les premières années de la Guerre froide. En réponse à ces critiques, la neutralité est défendue assidûment par Max Petitpierre qui en fait une doctrine d’Etat. De 1945 à 1961, il dirige le Département politique fédéral (aujourd’hui le Département des affaires étrangères). Sa politique étrangère est définie sous les termes de « neutralité et solidarité?» ou «?neutralité active ». Dès lors, la Suisse s’implique davantage dans les affaires internationales à travers des bons offices et plusieurs organisations. Par exemple, en 1953 est instaurée une mission helvétique sur la frontière entre la Corée du Sud et du Nord afin d’essayer d’y faire respecter un cessez-le-feu. La Suisse participe également à la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) de 1973 à 1995, une organisation internationale ayant pour but de favoriser le dialogue et la négociation entre l’Est et l’Ouest.
Malgré l’évolution de la politique de neutralité intégrale vers celle de neutralité active, la Suisse met un demi-siècle pour rejoindre l’ONU. Elle refuse tout d’abord d’y adhérer en 1945 afin de préserver sa neutralité. Néanmoins, elle héberge le siège européen de l’ONU à Genève depuis 1946 et coopère avec cette dernière plusieurs fois, notamment au Congo. En 1986, une votation populaire rejette une deuxième fois l’adhésion de la Suisse à l’ONU, le peuple suisse considérant que cette adhésion transgresserait la neutralité. Ce n’est qu’en 2002 qu’un revirement d’opinion se produit et la Suisse devient ainsi le 190e Etat membre de l’ONU.
A l’échelle européenne, la Suisse est face à une reconstruction à la fois économique et politique de l’Europe. Après avoir soutenu le plan Marshall en 1948, elle décide de ne pas adhérer à la Communauté économique européenne (CEE), tout en acceptant l’accord de libre-échange avec celle-ci en 1972. Le gouvernement suisse justifie ses choix en différenciant la coopération économique et technique de la coopération politique. Cependant, personne ne peut nier l’aspect politique de ces coopérations tel que le caractère anti-communiste du plan Marshall, qui est rejeté par l’Union soviétique et les pays du futur bloc de l’Est.
Quoique proche de l’idéologie occidentale, la Suisse cherche prudemment à maintenir une coopération économique et technique avec les pays en voie de développement pendant la Guerre froide. Cependant, sa participation à des sanctions économiques ressuscite des débats sur sa neutralité. Si les restrictions commerciales envers les pays communistes en 1951 sont mises en place sous la pression des Etats-Unis, sa participation autonome aux sanctions économiques contre l’Irak initiées par l’ONU de 1990 à 2003 reflète la volonté du gouvernement suisse de protéger la sécurité internationale sans pour autant violer sa politique de neutralité.
Nous observons une politique pragmatique du gouvernement suisse. Son attitude envers les affaires internationales s’adapte au cas par cas au fil du temps. Contrairement à une adaptation de la politique de neutralité, la position des journaux reste à peu près stable pendant la période de la guerre froide. Après une analyse préliminaire du corpus, nous retrouvons deux journalistes qui évoquent régulièrement la neutralité : Olivier Reverdin, directeur du Journal de Genève, conseiller national, ainsi que conseiller aux Etats et Jacques-Simon Eggly, le successeur de ce dernier pour le Journal de Genève. Tous les deux sont issus du parti libéral suisse, ce qui explique l’opinion stable du journal. Nous espérons repérer un plus grand nombre d’auteurs et considérer leurs prises de position, qui jouent un rôle non négligeable dans notre analyse.
En faisant cette première analyse du contexte historique, nous avons pu constater plusieurs changements au niveau de la politique de neutralité, qui semble s’adapter et devenir plus flexible au cours du temps, afin de garantir la sécurité et le développement du pays. Est-ce que les articles de la presse sont représentatifs de cette évolution? Quels sont les événements qui marquent les points de transitions et ceux qui suscitent un débat sur la politique de neutralité dans la presse ? Et enfin, y a-t-il une corrélation entre la politique de neutralité et le contexte de mondialisation ? Nous souhaitons répondre à ces questions en nous basant sur les archives numérisées du Journal de Genève et de la Gazette de Lausanne dont la ligne éditoriale est « attachée aux valeurs libérales fondamentales ». Plus précisément, nous pensons analyser l’évocation de la « neutralité » dans la presse au travers de la période de la Guerre froide en utilisant les outils informatiques à disposition.