De la relation américano-soviétique de 1981 à 1991

Analyse basée sur le Journal de Genève

Bocquet Hugo, Cader Aslam, Ravot Bastien

Introduction

Présentation du sujet et éléments contextuels

L’histoire des relations entre les États-Unis et l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) est complexe et évolue rapidement durant les années 1985-1988. Cette époque est marquée par deux figures politiques, Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev, dont les nombreuses rencontres sont documentées par le Journal de Genève. Il est intéressant d’étudier l’évolution de leurs politiques par rapport à l’état de leur relation. Notamment, en quoi le sommet de Genève offre-t-il une nouvelle perspective dans la relation américano-soviétique ?

En 1979, la relation entre l’URSS et les États-Unis est incertaine. En effet, le traité découlant des “Strategic Arms Limitation Talk II” (SALT II) est signé à Vienne en juin 1979. Il vise à freiner la course à l’armement. Cependant, en décembre de la même année, les forces soviétiques envahissent l’Afghanistan afin de supporter le régime marxiste, sur le point de s’effondrer. À l’opposé, les États-Unis soutiennent les adverses du régime. Cette guerre pousse le Sénat américain à ne pas ratifier SALT II.

Le 20 janvier 1981, Ronald Reagan est élu président des États-Unis, sous les couleurs du Parti républicain. Sa politique économique, surnommée “Reaganomics”, vise à stimuler la croissance en réduisant les taxes. Les dépenses militaires sont toutefois augmentées. Dès le début de sa présidence, il se pose en médiateur du conflit israëlo-palestinien. Des propositions issues de l’administration américaine pour régler le conflit, alors que celui-ci s’aggrave fortement, sont faites aux acteurs principaux[1]. En effet, la situation complexe qui oppose l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat, présente sur le territoire libanais, au pouvoir armé israélien prend une ampleur importante dès l’invasion des forces israéliennes dans le sud du Liban en 1982. Alors que le Liban est en guerre civile depuis sept ans et voit ses citoyens se diviser toujours plus, suite notamment à la présence syrienne dans le nord du pays et au conflit entre la coalition du Front Libanais et l’OLP, la situation devient encore plus dramatique. Aussi, tout au long de cette période, une majorité libanaise, représentée par le pouvoir chrétien maronite mis en place depuis la fin du mandat français et l’indépendance du Liban, continue à montrer son parti pris occidental et son refus du diktat syrien[2]. Ainsi, alors que Damas reste très proche de l’URSS jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev, le Liban et Israël se placent toujours du côté américain. Reagan montre une hostilité envers l’URSS, qu’il qualifie “d’Empire du mal”. Le décès successif de trois dirigeants soviétiques en 1982, 1984 et 1985 ne facilite pas le dialogue entre les deux nations[3].

Mikhaïl Gorbatchev accède au poste de Secrétaire général du comité central du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) le 11 mars 1985. Contrairement à ses prédécesseurs, Gorbatchev est jeune, mais reste un homme expérimenté, ayant siégé 14 ans au comité central. Sa nomination se fait sans contestation.

À son arrivée, il met en place deux réformes[4]. La première, intitulée Perestroïka est une restructuration sociétale[5], qui vise à augmenter la compétitivité économique. Par exemple, celle-ci permet de posséder une entreprise privée, non étatisée. La deuxième, connue sous le nom de Glasnost, concerne la transparence politique[5]. Elle permet aux individus qui n’appartiennent pas au Parti communiste unique d’entrer en politique et légalise les protestations citoyennes. Ces deux réformes définissent Gorbatchev comme un homme communiste d’un genre nouveau, plus libéral et ouvert.

Cette ouverture d’esprit est confirmée par la tenue du Sommet de Genève entre Gorbatchev et Reagan en novembre 1985. La dernière rencontre entre leurs homologues remontait à l’échec partiel de SALT II six ans plus tôt. Le fait que le sommet soit en Suisse permet à cette dernière de réaffirmer son statut d’État neutre.

Les deux hommes se retrouveront à Reykjavik en 1986, à Washington D.C. en 1987, à Moscou et New-York en 1988[3]. Leur rencontre de 1987 est marquée par la signature du “Intermediate Nuclear Force Treaty” (INF), qui vise à éliminer les armes nucléaires de courte et moyenne portées de leur arsenal respectif [6]. L’armée rouge se retire de l’Afghanistan entre mai 1988 et février 1989.

L’année 1989 est un tournant dans l’histoire. Ronald Reagan quitte la présidence des États-Unis le 20 janvier 1989. Gorbatchev organise les premières élections libres de l’histoire de l’URSS. Ces législatives marquent le début du pluralisme, bien que la plupart des élus restent des représentants du PCUS. Malgré les réformes de Gorbatchev, la frustration globale ressentie en République démocratique allemande durant cette période aboutit à la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989.

Gorbatchev reçoit le prix Nobel de la Paix en 1990 pour son implication envers le désarmement et dans le rapprochement entre le bloc de l’Est et de l’Ouest. L’accord de Minsk signé le 8 décembre 1991, en l’absence de Gorbatchev, met fin à l’URSS et pousse celui-ci à démissionner le 25 décembre 1991[7].

Corpus et ressources bibliographiques

La partie du corpus de sources concernant notre recherche consiste en les archives du Journal de Genève sur les années 1981 à 1991, divisées en trois sous-périodes. Les années 1981-1984 nous permettront d’analyser la situation avant l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev. La période d’intérêt pour notre étude s’étend de 1985 à 1988, c’est-à-dire l’époque durant laquelle Gorbatchev et Reagan sont à la tête de leurs pays. L’après 1988 conclura notre travail en permettant d’étudier les effets du départ de Reagan. Le Journal de Genève ayant repris la Gazette de Lausanne depuis 1975 suite à la faillite de cette dernière, il s’agit de l’unique quotidien qui nous intéresse. Le Journal de Genève est alors un quotidien à tendance libérale-conservatrice qui a pour volonté de s’affirmer devant la scène internationale, et non pas simplement comme un grand journal romand. Il se caractérise aussi par une vision très critique du système communiste et une tendance américano-centrée.
Le nom de “Gorbatchev” apparaît 4695 fois dans les archives entre 1985 et 1991. Ces apparitions sont souvent au sein d’articles de fond, qui proposent une analyse du politicien. Cependant, “Gorbatchev” se retrouve aussi dans des brèves pour annoncer des événements reliés à sa personne ou donner la parole à une autre personnalité politique, afin qu’elle s’exprime sur celui-ci.

Le terme “Reagan” apparaît 7479 fois durant les années 1981 à 1988. Ces apparitions semblent se trouver plus fréquemment au sein de brèves qui ne sont pas constituées d’une analyse du personnage, mais plutôt d’une description d’une de ses actions ou d’un événement auquel il est affilié.

L’occurrence “sommet de Genève” apparaît 164 fois dans l’année 1985. On constate que la majorité des articles sont écrits durant le mois de novembre. Quelques articles font la une et présentent l’enjeu de l’événement. Il semble aussi qu’une grande partie de ces articles soient des brèves qui décrivent l’événement et ses anecdotes ou, à posteriori, reviennent sur sa réussite et son impact.

Afin d’interpréter ces sources de manière pertinente, nous nous reposerons sur les supports présentés ci-dessous.

L’article de William D. Watson décrit en détail la relation entre Gorbatchev et Reagan avec pour perspective la pression nucléaire mutuellement imposée (développement des missiles Pershing II et SS-20). Il met en évidence la confiance nécessaire à chacun des dirigeants pour aboutir à la signature du traité INF en 1987.

Le livre “The Last Superpower Summits” propose une vision chronologique détaillée des rencontres entre Gorbatchev et Reagan. Chaque sommet est considéré, ainsi que les événements qui conduisent à ces rencontres et les contextualisent. De plus, le livre inclut des sources, telles que des retranscriptions de discussions entre les deux hommes, ou des lettres originales.

Le chapitre 8 de l’oeuvre “The Cold War. A very short Introduction” de l’historien Robert J. McMahon relate la relation américano-soviétique durant la guerre froide. De la fin de la guerre d’Afghanistan à la course aux armements, différents conflits qui ont eu lieu durant cette période sont mis en évidence.

Méthodologie digitale

Afin d’analyser le corpus de source composé des archives du Journal de Genève des années 1981 à 1991, des tests d’occurrences sont réalisés grâce à l’outil en ligne de recherche proposé par les archives du Temps (consultable ici). Plusieurs mots-clés apparaissent fréquemment sur la période d’intérêt.

Au vu de ces premiers résultats, le corpus est subdivisé en sept sous-corpus dérivés des cinq ensembles présentés ci-dessous. Ces subdivisions sont basées pour la plupart sur la présence de mots-clés et certaines aussi sur le respect de conditions temporelles.

Etant donné l’aspect logique de la procédure, il est possible de représenter ces sept sous-corpus sous forme d’unions et d’intersections entre différents ensembles représentant les critères. Chaque sous-corpus est illustré par la zone grisée des diagrammes de Venn de la figure 1. Il est important de noter qu’une liste de mots-clés au sein d’un ensemble signifie que la présence d’un de ces mots suffit pour que l’article qui le contient soit introduit dans le sous-corpus. Aussi, l’algorithme de tri est construit de manière à ce que la recherche soit insensible à la casse et l’accentuation. Certains articles sont ignorés car ils contiennent certains mot-clés sans pour autant être intéressants. C’est le cas des articles concernant la bourse ou encore du programme télévisuel.

Corpus

Corpus USA et URSS

Le corpus 1 concerne la politique américaine et Reagan durant la période de mandat de ce dernier. Il est construit de l’intersection de l’ensemble n°1 et l’ensemble d’articles produits durant la période du 20 janvier 1981 au 20 janvier 1989 durant laquelle Reagan est président. Cela permet de récupérer tous les articles écrits sur la politique américaine durant la présidence de Reagan (13’162 articles).

Le corpus 2 représente la symétrie parfaite du premier corpus vis-à-vis de la politique soviétique et Gorbatchev durant la période au pouvoir de Gorbatchev. Il est l’intersection de l’ensemble n°2 et l’ensemble d’articles datés de la période du 11 mars 1985 au 24 août 1991 (7’667 articles).

Pour les deux corpus précédents, le critère temporel supplémentaire est basé sur la période exacte du mandat des deux hommes, pour éviter les biais liés aux différences dans l’arrivée et le départ du pouvoir de chacun lorsqu’il s’agira de comparer ces deux corpus.

Corpus relations américano-soviétiques

L’ensemble 3 est défini par l’intersection de l’ensemble n°1 et n°2.
Celui est subdivisé en prenant l’intersection de l’ensemble n°3 avec l’ensemble composé des articles écrits durant les années 1981 à 1984 (corpus 3, 1’652 articles), les années 1985 à 1988 (corpus 4, 1’981 articles) et 1989 à 1991 (corpus 5, 1’414 articles). Cette division est réalisée en se basant sur les périodes de mandats de Reagan et Gorbatchev. Ces trois corpus permettent une analyse temporelle générale de la relation américano-soviétique durant l’entier de notre période d’intérêt.

Corpus sommets

Le corpus 6, illustré par le diagramme de l’ensemble n°4, est représentatif de la production médiatique autour du sommet de Genève. L’ensemble supérieur est l’intersection des articles composés du mot “Genève” et du mot “Sommet” (2’404 articles). L’ensemble inférieur gauche ne contient que les articles produits durant la période mentionnée. Ce choix de dates est réalisé en tenant compte des résultats de la première recherche, qui a permis d’indiquer la période durant laquelle le Journal de Genève mentionne l’événement.

Le corpus 7 (ensemble n°5) concerne les articles liés au sommet de Washington. Il permet la comparaison directe avec l’ensemble d’articles lié au sommet de Genève (1’569 articles).

Figure 1 – Définition des ensembles

Méthodes d’analyse

Les sept corpus définis ci-dessus ont été créés de manière à permettre à la fois une analyse séparée de chaque corpus, mais surtout des analyses comparatives. En particulier, les corpus 1 et 2 sont mis en parallèle afin de mettre en lumière les différences de traitement médiatique qui pourraient exister entre les États-Unis et l’URSS.

Méthodes pour l’analyse quantitative

Une première approche très quantitative est simplement une analyse de fréquence, en gardant en mémoire qu’il faut pondérer le nombre d’articles par la durée de la période considérée.

Nous avons remarqué un problème lors de la création du corpus 7 : le terme Washington est régulièrement utilisé pour désigner les États-Unis ou un de leurs représentants. C’est pour cette raison que nous trouvons intéressant de restreindre la période à un intervalle de 13 jours autour de chaque sommet. Cela nous permet de dresser deux histogrammes indiquant le nombre d’articles sur ces périodes (figure 2). Le nombre d’articles évoquant le sommet de Genève est plus important que le sommet de Washington (178 articles contre 61 articles).

Figure 2 – Nombre d’articles pour les corpus 6 (à gauche) et 7 (à droite) sur une semaine

Méthodes pour l’analyse qualitative : Iramuteq

De manière plus qualitative, le logiciel Iramuteq nous permet de réaliser des dendrogrammes via la méthode Reinert[8]. Celle-ci consiste, dans un premier temps, à lemmatiser le corpus; toutes les formes textuelles (ensembles de caractères séparés par des espaces) sont substituées par leur forme réduite. Cette manipulation remplace par exemple des verbes déclinés par leur forme à l’infinitif. Chaque forme est ensuite associée à une catégorie: soit celle des formes analysables, soit celle des formes illustratives. Cette seconde est composée de mots-outils et ne sera pas employée pour la suite de l’analyse. La catégorie des formes analysables est constituée de l’ensemble des formes réduites restantes, qui donnent, à priori, le sens au texte. Le texte lemmatisé est ainsi examiné pour établir une classification basée sur les formes réduites. La méthode est paramétrée pour analyser par segments et non par articles. Ce choix repose sur le fait que chaque corpus est défini de manière précise et est donc très homogène. La classification résultante est obtenue en minimisant les formes réduites différentes au sein d’une même classe. Par exemple, pour le corpus 3, le graphe de classification descendante de la figure 3 peut être obtenu.

Figure 3 – Dendrogramme: corpus 3 (relation américano-soviétique de 1981 à 1984)

En appliquant la méthode de Reinert, le résultat peut aussi être observé sur des graphes d’analyse factorielle des correspondances (AFC), basés sur les tableaux de contingence créés durant la classification. Cette visualisation met en évidence les corrélations entre les différentes classes. Le graphe présenté en figure 4, obtenu à partir du corpus 5, permet par exemple d’observer les thématiques abordés par le Journal de Genève quant à la relation américano-soviétique.

Figure 4 – AFC: corpus 5

Interprétation

Les relations américano-soviétiques

Figure 5 – Nombres d’articles des corpus 1 et 2 en fonction de l’année de parution

On aperçoit sur la figure 5 davantage d’articles en relation avec Reagan et sa politique (corpus 1) que d’articles en relation avec Gorbatchev et la politique soviétique (corpus 2). On constate que l’Europe est plus proche des États-Unis économiquement parlant que de l’URSS. On note un pic pour le corpus 2 correspondant à l’année de démission de Gorbatchev. A contrario, la politique américaine reste autant évoquée durant toute la période.

Le coeur de notre sujet consiste en l’analyse des relations américano-soviétiques. Il semble donc naturel de commencer par analyser les corpus 3, 4 et 5 (relations États-Unis – URSS, subdivisé par périodes). La visualisation la plus adéquate pour ces corpus est à notre sens le dendrogramme.

On remarque tout d’abord que les trois dendrogrammes (figures 3, 6 et 9) comportent une même classe, généralement très séparée des autres, caractérisée par les mots “dollar”, “taux”, “marché”. Il s’agit donc d’articles en rapport avec la finance. Ceux-ci semblent invariants dans le temps, ce qui laisse penser que cette thématique est importante mais peu évolutive entre 1981 et 1991. Cela semble logique du fait que les deux pays sont alors des superpuissances qui influencent grandement, entre autres, l’économie et la finance mondiale. Cette classe est probablement plus liée aux États-Unis, puisqu’elle est liée au capitalisme, modèle défendu par les américains face à l’économie planifiée soviétique. On notera toutefois que cette classe ne représente qu’environ 10% des segments de textes des corpus 3 et 4, contre 20% du corpus 5. Cette augmentation pourrait s’expliquer par le fait que la fin du mandat de Gorbatchev est marquée par de nombreux problèmes économiques et financiers.

Parmi les autres classes communes aux trois dendrogrammes, on retrouve celle de la politique et une concernant le conflit israélo-palestinien (voir l’analyse détaillée ci-dessous).

Figure 6 – Dendrogramme: corpus 4 (relation américano-soviétique de 1985 à 1988)

La question des missiles nucléaires apparaît de 1981 à 1988 (corpus 3 et 4), mais disparaît totalement après (corpus 5). Une fois les accords signés, le risque d’une guerre nucléaire, qui préoccupait grandement la Suisse et ses médias, semble donc définitivement écarté. Cela est révélateur du succès des différents sommets, confirmé par le secrétaire d’État américain dans l’extrait article présenté en figure 7.

Figure 7 – Extrait d’un article du 16.12.1987 (p.3) [9]

Il est intéressant de noter que le mot-clé “Reagan”, largement utilisé pour créer ces corpus, n’est présent que dans le dendrogramme du corpus 4. Dans le corpus 3, le terme “Washington” semble plus utilisé lorsqu’il est question de décisions américaines. Le personnage de Reagan ne prend toute son importance qu’après, grâce à ces rencontres avec Gorbatchev. Il n’est pas présent après 1988 car il a tout simplement été remplacé par Bush à la présidence. À l’inverse, le mot-clé “Gorbatchev” caractérise une classe des corpus 4 et 5, soit durant toute le durée de son mandat.

Un dernier enseignement peut être tiré du dendrogramme du corpus 5 : les classes 2 et 3 sont très proches, alors que leurs thématiques sont à première vue séparées. Il s’agit pour la classe 2 d’économie au niveau européen. Il est notamment question de la CEE (communauté économique européenne) et du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), alors dans le cycle d’Uruguay qui mènera à la création de l’OMC (organisation mondiale du commerce). La classe 3 concerne principalement les dirigeants russes, mais aussi les discussions de ceux-ci avec leurs homologues américains. La proximité de ces deux classes, confirmée par l’AFC correspondant (figure 4), laisse penser que la Suisse s’interroge sur l’impact de la politique soviétique sur l’économie européenne. De plus, un effondrement de l’URSS engendrerait un flot important de réfugiés, qui, du fait de la position géographique des États soviétiques, chercheraient à s’installer ailleurs en Europe, possiblement en Suisse.

 

Figure 8 – Dendrogramme: corpus 5 (relation américano-soviétique de 1989 à 1991)

La question du Proche-Orient

Les trois corpus présentent une thématique similaire tournée sur la situation au proche-orient et notamment le conflit isräelo-palestinien. Le corpus 3 comporte alors des articles qui présentent les propositions américaines, qui se sont par exemple traduites à travers le “plan Reagan” ou encore via l’intervention d’un diplomate américain d’origine libanaise, Philip Habib, pour permettre la communication entre Damas, Beyrouth et Jérusalem. Cependant, ces articles doivent aussi présenter les interventions soviétiques au cours de la période de crise pour apparaître au sein du corpus. Ainsi, de manière moins évidente, l’URSS se positionne souvent dans le conflit, mais une observation plus attentive des articles semble montrer que cette dernière n’est pas force de proposition ou d’initiative dans la résolution du conflit[10]. Du moins, c’est ce que semble révéler le Journal de Genève.

Figure 9 – Extrait d’un article du 20.12.1982 (p.16)

Aussi, il est intéressant de noter que le terme “Palestinien” ou même “OLP” semble être bien moins caractéristique de la classe Proche-Orient dans le dendrogramme du corpus 3 que le terme “Israël”, lui-même encore présent sous deux formes en première position. Une première explication est le fait que le terme “Israël” décrit à la fois un État, un peuple, une culture et une religion indépendante de tout autre, alors que le terme “Palestine” définit seulement un peuple ainsi qu’un territoire, mais n’est pas représentatif d’une religion. Aussi, la culture palestinienne reste bien moins marquée et surtout bien plus étrangère à la suisse que la culture isrälienne, comme peut en témoigner l’extrait suivant (Figure 10), qui montre l’implication de la communauté israëlienne en Suisse.

Figure 10 – Extrait d’un article du 22.02.1985 (p.19)

Toutefois, cela ne justifie pas l’évolution entre le dendrogramme du corpus 3 et 4 (Figure 3 et 6) où le terme “Palestinien” passe en seconde position devant le terme “Israël” et “israëlien”. Cette observation pourrait laisser penser que les médias ne vont s’intéresser particulièrement à la condition du peuple palestinien que plus tard dans le conflit. Au début des affrontements sur le territoire libanais, l’État israëlien est mieux armé et donc potentiellement plus menaçant pour la paix au Proche-Orient. Ses actions sont alors peut-être suivies de plus proche que celles des palestiniens. Cependant, l’hypothèse qu’Israël ait organisé une mission secrète de 1979 à 1982 aboutissant à de nombreux attentats sur les terres libanaises, pour semer le doute au sujet de la présence palestinienne et justifier leur intervention militaire[11], n’était pas encore répandue. Les médias suisses, alors peu informés au début des affrontements, n’auraient peut-être focalisé sur la question palestinienne que plus tard, notamment dans le corpus 4. Il est néanmoins difficile de conclure avec si peu d’éléments.

D’autre part, dès le corpus 4, la thématique du Proche-Orient prend une tournure plus politique et diplomatique, car elle se retrouve associée à ce type de classes. Cette période marque alors probablement la prise de conscience internationale de la complexité de la situation et des intérêts variés des acteurs.

Dans le dendrogramme du corpus 5, on remarque que la classe “politique”, largement représentée par le mot-clé “Gorbatchev”, est associée à la thématique du conflit. Du moins, on peut noter sur l’AFC du corpus 5 que la classe “politique” est à la fois fortement corrélée à la classe “économie” et à la classe “Proche-Orient”. En effet, le Journal de Genève traduit sûrement dans ses articles la nouvelle approche de l’URSS imposée par Gorbatchev. Pour celui-ci, la question économique est au centre des préoccupations et son implication dans le conflit doit urgemment être diminuée pour centrer son intérêt sur les problèmes internes de l’URSS. On sait notamment qu’il va réduire son soutien à la Syrie et même exiger le remboursement de ses dettes. Cela fragilisera la relation russo-syrienne pourtant très stable depuis de nombreuses années.

Les sommets de Genève et Washington

Dans le but d’analyser les différences sémantiques associées à la couverture des sommets, les graphes de similitudes ci-dessous sont pertinents.

Figure 11 – Graphes de similitude du sommet de Genève (à gauche) et sommet de Washington (à droite)

Il est intéressant de remarquer sur les deux graphes ci-dessus que le vocabulaire utilisé n’est pas similaire puisque les sujets évoqués sont différents. D’un côté, le sommet de Washington utilise un vocabulaire simple pour rapporter des faits généraux tels que la signature du traité INF. Un vocabulaire plus concret pour le sommet de Genève permet d’aborder des enjeux tels que la “paix” dans le “monde”. Une autre catégorie de segments composent des articles plus factuels: les faits ayant lieu sur place sont rapportés de manière directe avec une précision plus élevée et accompagnés d’anecdotes sur les personnes présentes.

Conclusion

Le présent travail nous a permis de constater que les relations américano-soviétiques se sont grandement améliorées durant la période étudiée, soit de 1981 à 1991. Cela est dû, notamment, aux urgences économiques internes qui forcent l’URSS à revoir ses priorités, mais aussi, dès 1985, à la volonté de dialogue affichée par Gorbatchev et Reagan. Celle-ci s’est traduite par l’organisation de nombreux sommets. Comme observé en analysant les corpus 3, 4 et 5, la thématique de la menace nucléaire disparaît peu à peu du discours international, ce qui traduit l’efficacité de ces sommets. La méthode employée a en outre mis en lumière la différence dans le traitement médiatique d’un événement se produisant dans la ville où paraît le journal, face à un événement lointain. Elle a aussi fait émerger une problématique inattendue au vu de nos mots-clés, la situation au Proche-Orient. À contrario, les résultats de la méthode quantitative, visant à étudier le nombre d’articles par corpus, n’ont pas été convaincants.

Un des éléments majeurs de cette période reste la signature du traité INF, qui écarte la possibilité d’une guerre nucléaire. Ce traité est aujourd’hui remis en cause par les dirigeants américain, Donald Trump, et russe, Vladimir Poutine, qui ont tous les deux suspendu leur participation début 2019.

Références

Notes

[1] Chaigne-Oudin Anne-Lucie, « Vers un nouveau plan de paix américain au Moyen-Orient (1/2) ? », Les clés du Moyen-Orient, 31.08.2010, consulté le 08.05.2019

[2] El Khoury Yara et Chaigne-Oudin Anne-Lucie, « De 1978 à 1990, une guerre civile touche le Liban. Quelles en sont les causes? Qui sont les forces en présence? Quelles sont les conséquences pour l’État libanais? », Les clés du Moyen-Orient, 25.10.2010, consulté le 08.05.2019

[3] Savranskaya Svetlana and Blanton Thomas, The Last Superpower Summits, Gorbachev, Reagan, and Bush, conversations that ended the cold war. Central European University Press, 2016.

[4] Schreiber Thomas, L’URSS et l’Europe de l’Est. Paris: La Documentation Française, 1987.

[5] McNair Brian, Glasnost, Perestroika and the Soviet Media. Taylor & Francis Inc., 1991 (Page 23, Page 160).

[6] Watson William D., Trust, but Verify: Reagan, Gorbachev, and the INF Treaty. 19th ed. Western Michigan University, 2011.

[7] McMahon Robert J., The Cold War. A Very Short Introduction. New York: Oxford University Press, 2003 (Pages 143-168).

[8] Marpsat Maryse, « La méthode Alceste », Sociologie, 09.05.2010, consulté le 08.05.2019

[9] Meister Arlette, «George Shultz remercie le Gouvernement allemand», Journal de Genève, 16.12.1987

[10] «Israël assouplit sa position sur le retrait de ses forces du Liban», Journal de Genève, 20.12.1982, consulté le 08.05.2019

[11] Brulin Rémi, « Quand Israël créait un groupe terroriste pour semer le chaos au Liban », Orient XXI, 20.06.2018, consulté le 08.05.2019

Bibliographie

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