Série Sciences Actuarielles : L’assurance peut-elle briser le cycle de la pauvreté mondiale ?

La pauvreté représente un défi de taille pour de nombreuses économies à travers le monde : 44% de la population mondiale reste pauvre et 700 millions de personnes vivent encore dans l’extrême pauvreté.1 Or, dans le même temps, les progrès dans ce domaine restent au point mort, et ce en raison de la faible croissance, des phénomènes climatiques extrêmes, des revers liés à la Covid-19 et de la fragilité des États-nations. 

« Aujourd’hui, pour pouvoir lutter contre la pauvreté, nous avons besoin des actuaires, car ce sont des expert·e·s en modélisation des risques. Ils peuvent calculer comment gérer, financer et comptabiliser les risques, que ce soit par le biais des gouvernements, des particuliers ou du secteur privé », explique Séverine Arnold, professeure de sciences actuarielles à HEC Lausanne.

À l’échelle mondiale, rares sont les actuaires qui s’attaquent au sujet de la pauvreté ou qui cherchent à déterminer comment l’humanité peut atteindre les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies grâce à l’assurance inclusive. C’est là que les ménages les plus pauvres, principalement dans les pays en développement, peuvent s’assurer. Pourtant, la professeure Arnold est l’une d’entre eux.

« Nous avons prouvé qu’en utilisant des modèles et des outils théoriques, l’assurance peut réellement aider les gens à rester au-dessus du seuil de pauvreté et à faire face à ce risque », affirme-t-elle.

En collaboration avec d’autres universitaires, la Prof. Arnold a étudié l’impact de l’assurance sur la dynamique de la pauvreté, et le rôle des subventions du gouvernement central. Car l’assurance peut contribuer à protéger la santé et les moyens de subsistance des personnes à faibles revenus, en assurant les produits agricoles, le bétail et d’autres biens contre les risques liés aux catastrophes naturelles et d’origine humaine.

Les chercheurs·euses ont constaté qu’il était rentable pour l’État de soutenir l’assurance inclusive. Ils peuvent le faire par le biais de l’industrie et, ce faisant, lutter contre la pauvreté. 2

« Si les ménages pauvres doivent payer eux-mêmes la totalité de la prime d’assurance, cela pèse sur leurs revenus et les appauvrit encore davantage. Subventionner l’assurance est une solution gagnant-gagnant-gagnant. Le gouvernement a moins de coûts sociaux à supporter, le risque de voir un ménage sombrer davantage dans la pauvreté est réduit, car les primes sont abordables et les indemnités garanties en cas de mauvaise récolte ou de catastrophe. Dans le même temps, le secteur de l’assurance en tire profit, en vendant des produits à la population », explique la Prof. Arnold.

Leur étude utilise un modèle mathématique solide bien connu en science actuarielle pour montrer qu’un partenariat entre le secteur public et le secteur privé est bénéfique pour tous. Ce modèle et d’autres développés par des scientifiques actuariels pourraient également être utilisés pour atteindre efficacement d’autres ODD.

« Un message clé de cette recherche est que gouvernements et compagnies d’assurance doivent coopérer, car cette collaboration profite à toutes et tous. Le deuxième point est que l’assurance peut être un outil très utile dans la réduction de la pauvreté. Elle est généralement utilisée dans les économies développées comme un outil pour protéger les individus contre les risques qu’ils ne peuvent pas affronter seuls. Cependant, les pays en développement ont encore plus besoin d’une telle protection ! », déclare Séverine Arnold.

Selon les Nations unies (ONU), le nombre de personnes couvertes par des produits de micro-assurance a augmenté de 70 % au cours des trois dernières années, atteignant 344 millions de personnes dans 37 pays3. Ces produits ont généré plus de 6 milliards de dollars américains de primes souscrites. Ils représentent également une opportunité importante pour le secteur, mais une approche unique est nécessaire. 

La professeure Arnold déclare : « Lorsque l’assurance est associée à des microcrédits ou à des prêts, elle peut également constituer un outil puissant pour les communautés les plus pauvres, en particulier lorsque les gens sont sceptiques à l’égard de l’assurance et des indemnités potentielles. Si les gens connaissent des familles qui ont reçu de l’argent grâce à des indemnités d’assurance, ils sont également plus enclins à souscrire des polices. »

Elle conclut : « Les actuaires peuvent encore faire beaucoup pour contribuer à la réalisation des ODD des Nations unies. »


Références :

  1. La réduction de la pauvreté dans le monde a pratiquement atteint un point mort, Banque mondiale, Rapport 2024 sur la pauvreté, la prospérité et la planète, consulté en septembre 2025

  2. Subventionner l’assurance inclusive pour réduire la pauvreté, JM Flores-Contró, K Henshaw, SH Loke, S Arnold, C Constantinescu, North American Actuarial Journal 29 (1), 44-73, 2 janvier 2025

  3. La couverture micro-assurance touche 344 millions de personnes en 2023, mais un déficit de protection de 88 % persiste, Programme des Nations Unies pour le développement, 6 mars 2025