Série Reimagine « Santé et Soins » : Le moment est-il venu de donner un prix à la vie ?

Dans une nouvelle série, nous examinons comment nos chercheurs et chercheuses repensent certains des plus grands défis auxquels l’humanité est confrontée.

L’augmentation des coûts de la santé est un fardeau pour la société. En 2021 par exemple, les dépenses mondiales de santé ont atteint le chiffre record de 9’800 milliards de dollars, soit 10 % du PIB 1. Aux États-Unis, les soins de santé ont coûté 4’500 milliards de dollars en 2022 2. Selon le Forum économique mondial, les 1’800 milliards de dollars de dépenses mondiales en soins de santé ne contribuent guère à des résultats positifs en matière de santé 3.

La viabilité de nombreux systèmes de soins de santé est devenue un problème. Il est essentiel de les réimaginer. C’est l’objet des travaux de Pascal St-Amour, professeur d’économie à HEC Lausanne (UNIL).

L’essentiel de sa recherche intitulée « Valuing Life over the Life Cycle« , consiste à donner une valeur à la vie d’une personne sur l’ensemble de sa durée de vie 4.

« Cela peut sembler dérangeant, mais ces conversations doivent avoir lieu et ces mesures doivent être calculées si nous voulons faire de meilleurs choix. C’est là où la théorie et la recherche économiques sont précieuses », déclare le professeur.

Par exemple, les valeurs de vie sont importantes lorsque les services de santé décident d’investir dans des médicaments qui sauvent des vies pour certains groupes démographiques et certaines maladies, comme le Covid. Ou, autre exemple, pour déterminer si des améliorations coûteuses de la sécurité routière valent l’investissement en matière de valeur des vies supplémentaires sauvées.  Elles sont également utiles pour calculer les indemnités dans le cas d’un litige portant sur un décès injustifié.

« Les médecins donnent une valeur à la vie lorsqu’ils envisagent une intervention qui va coûter un certain prix pour prolonger la vie d’une personne d’un nombre spécifique d’années – cela en vaut-il la peine et quel bénéfice en retirera-t-on ? Une question sous-jacente se pose ici : quelle est la valeur d’une vie humaine et comment l’ajuster en fonction des caractéristiques personnelles, telles que l’âge ou les ressources ? Quelle est la valeur des changements positifs ou négatifs en matière de longévité », explique le professeur St-Amour.

« Si un respirateur artificiel d’hôpital est disponible, faut-le réserver pour une personne plus jeune, plus riche et en meilleure santé ou pour quelqu’un qui se trouverait exactement dans le cas contraire ? La société a besoin de ces informations pour allouer efficacement les ressources aux soins de santé », ajoute-t-il.  

La pandémie de Covid a été le catalyseur de ces évaluations. D’importantes ressources sanitaires ont été consacrées à cette épidémie virale, tandis que d’autres traitements vitaux ont été annulés ou reportés, ce qui a probablement entraîné des décès sur le moment, puis après coup. La question qui se pose est de savoir si les sociétés ont pris en compte le coût humain total de ces décisions. 

Trois méthodes peuvent être utilisées pour répondre à cette question

Premièrement, l’approche du capital humain attribue une valeur à la vie d’une personne en fonction des revenus qu’elle a anticipés tout au long de sa vie.

Deuxièmement, la valeur d’une vie statistique évalue la volonté collective de sauver une personne inconnue grâce à une intervention, par exemple en construisant des routes plus sûres.

Troisièmement, des recherches permettent désormais de calculer la volonté d’une personne de payer pour des changements dans sa propre longévité. Cette dernière approche prend en compte la richesse, la santé et le risque de mortalité d’une personne, ainsi que son âge.

« Ma recherche « Valuing Life over the Life Cycle » s’inscrit dans cette troisième approche. Elle contribue au calcul de la volonté d’une société ou d’un individu de payer, soit pour obtenir des résultats positifs en matière de soins de santé, soit pour prévenir les mauvais résultats, et pour évaluer la valeur intrinsèque de la vie. Elle peut donner une vision objective et impartiale basée sur un modèle économique », précise le professeur St-Amour.   

« De tels modèles permettent aux décideurs et décideuses politiques de mieux évaluer les coûts des soins de santé et de faire des compromis entre la qualité et la quantité en matière de vie. Il est important d’avoir l’esprit ouvert et d’appliquer une théorie économique rigoureuse à des questions aussi difficiles ».

Références :

1. Organisation mondiale de la santé, L’OMS appelle les gouvernements à une action urgente, déc. 2023

2. Centers for Medicare & Medicaid Services des États-Unis, consulté en septembre 2024.

3. Comment les outils numériques de soins de santé axés sur les données réduisent les coûts et améliorent les résultats, WEF, 10 sept. 2024

4, 5. St-Amour, Pascal, « Valuing Life over the Life Cycle« , Journal of Health Economics, Volume 93, janvier 2024.