Série Reimagine : Santé et Soins – Faire face au nouveau fardeau des maladies chroniques

Dans ce deuxième article de notre série, le Prof. Jürgen Maurer, Faculté des HEC (UNIL), se concentre sur l’épidémie de maladies non transmissibles (MNT) – ou maladies chroniques, comme les crises cardiaques, les cancers et les AVC. Dans les pays en développement, elles tuent désormais plus que les maladies infectieuses, comme le paludisme et le sida.

Aujourd’hui, les maladies non transmissibles, qui comprennent également les maladies pulmonaires et le diabète, sont responsables des trois quarts des décès dans le monde. Selon l’Organisation mondiale de la santé, la grande majorité d’entre elles surviennent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire (PRFI) et menacent de submerger les systèmes de santé 1.

« Dans ces pays, de nombreux prestataires de soins de santé sont mal préparés pour faire face à cette montée en puissance. Les enseignements tirés des pays à revenu élevé ne s’appliquent pas toujours. Nous avons donc besoin de plus de recherche sur les maladies chroniques dans les PRFI, ainsi que de données fiables si nous voulons des preuves objectives sur les défis.», déclare Jürgen Maurer, professeur d’économie et de management de la santé à HEC Lausanne, membre et co-fondateur du LCHE (Centre de Lausanne pour l’économie, le comportement et la politique de la santé) de l’UNIL.

Il dirige un projet sur les défis liés aux maladies non transmissibles dans les pays à faible revenu, qui fait partie du Swiss Programme for Research on Global Issues for Development. Ce projet se nomme « Inclusive Social protection for chronic health problems ». Le Prof. Maurer et ses collègues ont rassemblé et analysé de nouvelles données d’enquêtes de santé, en particulier au Sri Lanka, au Malawi, aux Philippines et en Inde. Le projet a donné lieu à plus de 50 publications évaluées par des pairs dans des revues de premier plan en économie, en démographie et en santé mondiale.

Les maladies cardiovasculaires, telles que l’hypertension, sont aujourd’hui parmi les plus meurtrières dans les pays en développement. À l’échelle mondiale, 80% des décès dus à ces maladies surviennent dans les pays à faible revenu 2.

« Dans ces pays, de nombreuses personnes âgées souffrant d’hypertension ignorent leur état, malgré des consultations régulières avec des médecins et des séjours à l’hôpital. Elles sont rarement soumises à des contrôles pour détecter l’hypertension, pourtant facilement mesurable avec un simple tensiomètre. Cela représente une occasion manquée, qui peut entraîner des lacunes importantes dans le diagnostic et la prise en charge.», explique le Prof. Maurer.

Ses recherches en Inde montrent que le dépistage de l’hypertension lors de visites pour d’autres maladies, pourrait augmenter les taux de diagnostic de 55 % à 77 %. Elles révèlent également que les occasions manquées touchent davantage les populations pauvres, moins éduquées et rurales. L’étude suggère qu’un tel dépistage ciblé pourrait être une première étape vers un traitement plus équitable et efficace de l’hypertension.

Ces travaux académiques peuvent orienter les politiques dans l’allocation de ressources limitées. Par exemple, la modélisation de l’équipe r4d 4 a aidé le ministère de la santé du Sri Lanka. « Les fonctionnaires ont utilisé notre recherche pour justifier la révision du protocole de traitement recommandé pour les maladies cardiovasculaires. Les décideurs politiques cherchent maintenant à réduire le seuil de risque lorsque des statines sont prescrites pour l’hypertension », déclare-t-il.

Réimaginer les soins de santé nécessite de recueillir des données contextuelles. Outre la question du diagnostic et du traitement, les recherches de J. Maurer montrent que les facteurs de risque des maladies non transmissibles peuvent varier selon le contexte. Par exemple, bien que de mauvaises conditions prénatales soient généralement liées à un risque accru de maladies cardiovasculaires, une étude récente coécrite par Maurer a révélé que les enfants du Malawi exposés à la famine avant leur naissance avaient, 70 ans plus tard, une meilleure santé cardiovasculaire – pas pire, probablement en raison de modes de nutrition différents. 5

« Il n’est pas possible d’appliquer directement aux pays à faibles revenus d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud les recherches sur les facteurs de risque et les protocoles de traitement développés dans les pays à hauts revenus comme les États-Unis. Le contexte joue un rôle clé, ce qui rend notre travail de recherche essentiel.», conclut-il.

References:

  1. Noncommunicable diseases, World Health Organisation, accessed Oct. 2024
  2. Cardiovascular Health Care in Low/Middle-Income Countries, Circulation, AHA Journals, Feb. 24
  3. Missed opportunities for hypertension screening: a cross-sectional study, India, Bulletin World Health Organisation. Sanjay K Mohanty, Prashant Shekhar, Fabrice Kämpfen, Owen O’Donnell, Jürgen Maurer. Jan. 2022
  4. Cost-Effectiveness and Distributional Impact of Opportunistic Screening for People at High-Risk of Cardiovascular Disease in Sri Lanka: A Modelling Study, Global Heart Journal, Nilmini Wijemunige, Ravindra P Rannan-Eliya, Jürgen Maurer, Owen O’Donnell. Dec. 2022
  5. Barker’s Hypothesis Among the Global Poor: Positive Long-Term Cardiovascular Effects of in Utero Famine Exposure, Demography, Alberto Ciancio; Jere Behrman; Fabrice Kämpfen; Iliana V. Kohler; Jürgen Maurer; Victor Mwapasa; Hans-Peter Kohler. Dec. 2023