« Il ne faut pas attendre les rapports du GIEC, mais agir immédiatement »

© Grégoire Mariéthoz, UNIL

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) s’est réuni à Interlaken pour adopter la synthèse de 7 ans de travaux sur le réchauffement climatique, entamés en 2015. Ces textes seront un point d’appui majeur pour la COP28, qui se tiendra en décembre à Dubaï. Le point avec Julia Steinberger et Samuel Jaccard, deux professeur·e·s de la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’UNIL, qui sont également experts du GIEC.  

Julia Steinberger, Institut de géographie et durabilité

Julia Steinberger est professeure à l’Institut de géographie et durabilité (IGD) de l’UNIL. Elle est auteure principale groupe du travail III du GIEC publié le 4 avril 2022, et co-directrice académique du Centre pour l’impact et l’action climatique (CLIMACT).

Samuel Jaccard, Institut des sciences de la Terre

Samuel Jaccard est professeur à l’Institut des sciences de la Terre (ISTE) de l’UNIL. Il est auteur principal du groupe de travail I du GIEC et professeur affilié au Centre pour l’impact et l’action climatique (CLIMACT).

Quel est le contenu et l’enjeu principal de cette synthèse ?

Julia Steinberger : La synthèse est le résumé des messages principaux des 6 rapports récents du GIEC qui forment le « 6th Assessment Report » ou AR6 (voir image ci-dessous).

Ce sont trois rapports spéciaux (1,5 degrés, océans et cryosphère, terres) et les trois rapports des groupes de travail (science physique, impacts et adaptation, atténuation). Chacun de ces rapports a apporté des messages d’envergure importante, et la synthèse a pour objectif de les condenser à l’essentiel. 

En résumé, le réchauffement climatique est réel. Il est causé par les activités humaines (surtout la combustion d’énergies fossiles (gaz, pétrole, charbon) et l’agriculture-déforestation). Les impacts du réchauffement sont déjà visibles et dangereux, à la fois pour les sociétés humaines et la biodiversité, dans toutes les régions du monde (terres, océans, cryosphère), avec une intensification des évènements climatiques extrêmes clairement causés par le réchauffement. Les impacts vont continuellement s’aggraver jusqu’au moment où le réchauffement sera stabilisé. Il est possible dans certains cas de s’adapter aux impacts du réchauffement, mais au-delà de 2 degrés, même cette adaptation partielle ne sera plus possible. 

« La diminution de la demande énergétique, et une alimentation dominée par les plantes permettraient aux renouvelables d’approvisionner l’entièreté de la demande énergétique, tout en garantissant un niveau de vie décent à tous. »

Julia Steinberger

Les politiques actuelles des gouvernements nous amèneraient, cependant, autour de 3 degrés de réchauffement d’ici la fin du siècle. Pour respecter l’accord de Paris et rester le plus proche possible des 1,5 degrés, il faudrait diminuer les émissions de moitié d’ici 2030 et les amener proche de zéro (nettes) d’ici 2050. Il faut donc immédiatement et massivement réduire les émissions, car chaque dixième de degré compte. Les énergies renouvelables sont maintenant moins chères au kilowatt-heure que les énergies fossiles (moyenne mondiale). La diminution de la demande énergétique, et une alimentation dominée par les plantes, sont porteuses d’espoir, car elles permettraient aux énergies renouvelables d’approvisionner l’entièreté de la demande énergétique, tout en garantissant un niveau de vie décent à tous. 

Samuel Jaccard : En ce qui concerne le premier volet du rapport (bases physiques du changement climatique), les connaissances, bien qu’incomplètes, sont suffisantes depuis des années pour démontrer que le dérèglement climatique est directement associé aux activités anthropiques et que ces activités ont des conséquences néfastes sur les écosystèmes et la biodiversité. De plus, il est maintenant établi que le dérèglement climatique est la principale cause des événements climatiques extrêmes (inondations, sécheresse, canicule) dont on a beaucoup parlé dans les médias ces dernières années. 

Voilà des années que les experts internationaux sonnent l’alarme, sans que des actions suffisantes ne soient entreprises. Quelles sont vos attentes face à cette publication ? 

J.S : Il existe énormément de résultats scientifiques qui sont publiés chaque jour, et le « Emissions Gap Report » du PNUE est publié toutes les années. L’inaction des politiques, entreprises et citoyens (je pense notamment au fait, dans l’académique, de prendre l’avion à l’autre bout du monde pour faire une intervention d’un quart d’heure) ne relève pas du manque d’information provenant du monde scientifique, mais de la désinformation et de la corruption de nos politiques par les lobbys fossiles, pour dire les choses très clairement.

S.J : Le rapport de synthèse ne présente en tant que tel, aucune nouvelle conclusion, on peut toutefois espérer que sa publication permette de remettre l’attention médiatique/politique sur la question climatique, tout en comprenant bien sûr que ce n’est pas le seul sujet qui touche la population en ce moment

« Il faut atteindre une situation de zéro émission nette le plus rapidement possible, globalement. »

Samuel Jaccard

Est-il encore temps d’agir et de combien de temps disposons-nous ?

J.S : C’est comme demander s’il est trop tard d’arrêter de nous cogner sur la tête. Bien sûr que nous aurions mieux fait d’arrêter les émissions plus tôt, mais chaque Gigatonne, tonne et kilogramme d’émissions empêchée sera toujours bénéfique pour notre avenir. Chaque fraction de degré de réchauffement compte. Le message n’est pas de se focaliser sur une année, ou d’essayer de se donner la permission de ne plus rien faire, comme pourrait le suggérer cette question. Notre obligation, en tant qu’humains, est de réduire les émissions à zéro aussi rapidement que possible. Un point c’est tout.

S.J : Bien sûr qu’il est encore temps d’agir. Cela dit, il faut bien avoir en tête le fait que le temps qui passe ne joue pas en notre faveur. Il faut des actions concrètes, durable et concertées internationalement, afin de peut-être pouvoir mettre en œuvre des mesures efficaces qui permettent de stabiliser, puis de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Il faut atteindre une situation de zéro émission nette le plus rapidement possible, globalement.

Quelle est la prochaine importante étape pour le GIEC selon vous ? 

J.S : Il ne faut pas se fixer sur le GIEC. Son travail est important mais bien trop lent. Nous ferions mieux de nous focaliser sur l’action. En Suisse, nous avons une loi climat à faire passer, et énormément d’efforts à faire sur nos propres émissions (par exemple notre parc automobile, composé de SUVs bien trop lourds, est un des plus polluants d’Europe). La vaste majorité de nos institutions économiques, à commencer par la Banque Nationale Suisse, refusent de désinvestir des énergies fossiles. Il ne faut pas attendre les rapports du GIEC, mais agir immédiatement. C’est cela, le message principal.

S.J : En principe, le GIEC devrait être mandaté pour produire un 7e rapport d’évaluation d’ici à quelques années. J’espère que le focus sera mis pour les aspects adaptation, mitigation, afin d’offrir des solutions tangibles aux décideurs politiques qui permettront de réduire durablement les émissions.

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