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Une importante étude parue dans Nature Communications décrypte par une modélisation l’influence physique des microstructures dans les milieux poreux sur le transport global de particules entraînées par des fluides.
Cette avancée fondamentale dans le domaine de la dynamique des fluides est tout sauf banale en regard de ses très nombreux domaines d’application, de l’environnement à la médecine, du charriage dans les rivières en passant par la reminéralisation ou décontamination des sols, au flux sanguin ou au transport de molécules dans les membranes et tissus biologiques.
Quelques gouttes de sérendipité
Comment les Dr Ankur D. Borodoloi et David Scheidweiler, deux postdocs de l’Institut des sciences de la Terre (ISTE), ont-ils réussi à modéliser le transport de fluides dans des milieux poreux ?
Au cours de leurs travaux au sein du Laboratoire de mécanique des fluides, étudiant le transport de particules à l’intérieur d’un substrat artificiel reproduisant au plus près les structures de milieux poreux, ces deux jeunes chercheurs ont constaté que leurs observations ne correspondaient pas aux prédictions des modèles établis (basés essentiellement sur des principes de diffusion passive). Ils ont surtout constaté que les particules (colloïdes) mettaient notablement plus de temps à traverser le milieu qu’attendu.
Ils ont donc approfondi leur étude en observant les flux de ces colloïdes au cœur même des microstructures constituant le substrat. En compilant des milliers d’images de microscopie à fluorescence, ils ont pu identifier que des courants de convection se créaient à l’intérieur de pores « en cul de sac » (dead-end pores), maintenant « prisonnières » une partie des particules. Ce résultat était inattendu, car on n’imaginait pas que de tels courants puissent se créer à une aussi petite échelle.
Un modèle mathématique a ensuite été établi, afin de pouvoir décrire et prédire la vitesse de transport de microparticules et le temps qui leur est nécessaire pour traverser un milieu poreux. Les facteurs clés de ce modèle sont l’épaisseur du milieu et la distribution de la taille des pores qu’il contient. Le fait de pouvoir mieux connaître ces mécanismes subtils ouvre de nombreuses perspectives de développement. L’équipe de Pietro de Anna se penche sur plusieurs projets liés à ce sujet, dont la dynamique de croissance de bactéries dans de tels milieux. La compréhension de ces phénomènes est particulièrement intéressante, considérant par exemple, que les cellules de la paroi de l’intestin ou du rein élaborent des microvillosités créant un milieu analogue à ceux étudiés ici. Ainsi la dynamique d’absorption ou de diffusion de molécules médicamenteuses dans ces organes pourrait être abordée sous un nouvel angle.
Le Laboratoire de mécanique des fluides
Le Laboratoire de mécanique des fluides travaille principalement à identifier les mécanismes qui relient des phénomènes observables au niveau macroscopique, aux processus existants au niveau microscopique.
Vous avez dit sérendipité ?
La démarche adoptée par ces chercheurs cadre bien à la définition donnée par Sylvie Catellin de la sérendipité, « l’art de découvrir ou d’inventer en prêtant attention à ce qui surprend et en imaginant une interprétation pertinente » 1; une démarche à l’origine de nombreuses découvertes scientifiques, comme le « Aha ! » d’un fameux Prix Nobel lausannois.
Ce n’est pas le hasard qui est à l’origine des découvertes (ce qui atténuerait le mérite du chercheur) : le hasard apporte juste l’opportunité pour le scientifique de faire preuve de sagacité, de son aptitude à trouver une solution, une explication, une méthode, une loi ou une règle scientifiques face à ce qui le surprend ou l’interpelle au cours de ses travaux. Surmonter l’interpellation du hasard est au cœur des compétences du chercheur et fait appel à sa créativité, à sa culture générale, à ses compétences transversales ou spécifiques et le plus souvent à son intelligence à établir, au niveau cognitif, des liens inédits menant à des solutions nouvelles.
1 Sylvie Catellin (préf. Laurent Loty), Sérendipité du conte au concept, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Science ouverte », 2014
Pour aller plus loin, en dialogue avec le Prof. Pietro de Anna
Pourquoi la circulation des fluides dans un milieu poreux n’était-elle pas mieux connue jusqu’ici ?
Les flux à travers les milieux poreux sont très lents (quelques microns par seconde). De ce fait la plupart des scientifiques estimaient que les liquides et microparticules les traversaient passivement sans dynamique particulière et qu’il suffisait de déterminer une vitesse moyenne d’écoulement et de diffusion pour décrire leur transport. Les structures très complexes de ces milieux ont également représenté un frein à des études plus approfondies. En effet aucun dispositif expérimental existant ne permettait de recréer cette complexité ou d’obtenir une observation fine des flux au sein des microstructures.
Quelles ont été les étapes clés pour réussir à définir ce modèle ?
Dans le cadre de nos travaux de recherche, nous avons travaillé à la réalisation d’un milieu synthétique permettant à la fois de recréer la complexité d’un milieu poreux et d’observer les flux au sein des microstructures. Nous avons réussi à réaliser des plaquettes transparentes en polymère (i.e. microfluidiques) dotées d’une structure interne que nous pouvons façonner selon nos besoins. Les microfluidiques se présentent sous la forme de lames minces dans lesquelles nous faisons passer des suspensions de colloïdes.
Une fois ce dispositif mis en place, nous avons réalisé plusieurs expériences de mesures du transport de particules à travers les microfluidiques, afin de déterminer si les modèles simples utilisés jusqu’ici se vérifiaient. Nous avons constaté des anomalies par rapport aux résultats attendus avec des retards de diffusion.
Les structures poreuses sont constituées de réseaux de canaux remplis de particules ou microorganismes en suspension qui sont entrecoupés de pores “en cul-de sac“ dans lesquels ces flux sont interrompus. Ces structures sont présentes notamment dans les sols, les filtres industriels, les membranes ou les tissus biologiques. Les microfluidiques sont façonnées de manière à recréer les conditions des milieux poreux avec une distribution homogène de canaux et pores isolés. Cette méthode est décrite plus en détail dans l’article du Géoblog : Journée d’un chercheur – Pietro de Anna
« Nous avons donc conçu une expérience nous permettant d’observer les mécanismes de transport se produisant au niveau microscopique, afin de comprendre les effets inattendus observés au niveau macroscopique. »
Prof. Pietro de Anna
Les microfluidiques ont été remplies d’une suspension de colloïdes et une solution de lavage a été injectée à une extrémité de la plaque. Le mouvement des colloïdes en suspension a été déterminé en enregistrant des images à intervalles réguliers à l’aide d’un microscope à fluorescence. Ces images ont été ensuite superposées afin d’évaluer le déplacement ou au contraire la stagnation de colloïdes en suspension.
Au terme de l’expérience et de la superposition de milliers d’images, nous avons pu observer qu’un mouvement de convection se crée dans les pores « en cul de sac », ce qui retient les particules à l’intérieur. Ceci est tout à fait inattendu car on ne pensait pas que de tels mouvements pouvaient se former à une si petite échelle (une vingtaine de microns).
A partir de ces observations nous avons réalisé un modèle mathématique permettant de décrire ces phénomènes de tourbillons. Ce modèle permet de décrire le transport de particules au travers d’un milieu poreux à n’importe quel stade du transport. Les éléments déterminants de ce modèle sont la longueur du matériau traversé et la distribution de la taille des pores.
Référence bibliographique
- Bordoloi, A.D., Scheidweiler, D., Dentz, M. et al. Structure induced laminar vortices control anomalous dispersion in porous media. Nat Commun 13, 3820 (2022).
doi.org/10.1038/s41467-022-31552-5