Quelques éclairages proposés par le Prof. Jed Kaplan
Dans les articles récents « Defining the epoch we live in : is a formally designated « Anthropocene » a good idea? » (William F. Ruddiman, Erle C. Ellis, Jed O. Kaplan, Dorian Q. Fuller, Science, vol 348, no 6230, 3.4.2015 [summary]) et « Holocene carbon cycle : Climate or humans ? » (Jed O. Kaplan, Nature Geoscience, vol 8, may 2015), Jed O. Kaplan, professeur assistant à l’IDYST, discute de l’importance des activités anthropiques préindustrielles dans les variations décennales du climat de l’Anthropocène, cette ère géologique sujette à débat marquée par l’empreinte de l’homme comme force environnementale dominante.
Dans « Defining the epoch we live in : is a formally designated « Anthropocene » a good idea? », le Prof. Kaplan présente des événements marquants de l’influence de l’homme sur son milieu dont les prémices remontent à 14’000 ans en arrière, à l’époque de l’extinction de la mégafaune du Pléistocène. Or, la notion d’Anthropocène est souvent déterminée comme l’ère où l’homme devient une force dominante sur la Biosphère, et ce, dès la fin du 18ème siècle, lorsque l’invention de la machine à vapeur par James Watt a permis d’initier une révolution industrielle qui, de l’occident, allait rapidement se répandre au monde entier comme vecteur civilisationnel et force de destruction pour la Nature, notamment en terme d’émission de gaz à effet de serre. Pour ce qui concerne les géologues, seule une empreinte tangible de l’influence de l’homme sur la planète, observable et mesurable dans les formations géologiques de surface, peut permettre de rendre légitime la définition d’une nouvelle ère géologique (nous sommes dans la période de l’Holocène). Pour certains spécialistes de la stratigraphie, ce sont les répercussions de la première bombe atomique du 16 juillet 1945 qui pourraient entamer cette ère, car on peut identifier les poussières qui lui sont dues dans les sols. Si Crutzen et Stoermer ont amené la notion d’Anthropocène, c’est avant tout dans le but de susciter la sensibilisation du plus grand nombre aux problèmes écologiques grandissants apportés par l’espèce humaine par une expression forte. Par honnêteté intellectuelle, le Prof. Kaplan et ses collègues veulent resituer le débat sur l’origine de l’influence de l’homme sur la Biosphère, qui est concomitante de l’émergence des civilisations développées que l’on connaît aujourd’hui, de même que le sont les dégâts probablement irréversibles à l’échelle humaine créés par l’homme en terme de biodiversité et de dérégulation climatique.
Ce ne sont pas moins de 65% des grands mammifères qui ont disparu entre -50’000 ans et -12’500 ans, cela dans un contexte de variations climatiques importantes (glaciations, déglaciations). La chasse et la déforestation par brûlis pourraient en être les causes les plus vraisemblables. Il y a environ 11’600 ans, la révolution néolithique a permis à l’agriculture d’essaimer, avec comme corollaires la déforestation (et donc les émissions de CO2), ainsi que les premières rizicultures (il y a 5000 ans environ), à la fois puits de CO2 et sources émettrices de méthane. L’âge du bronze (-5000 ans) et l’âge du fer (-3000 ans) ont permis aux civilisations de se développer par l’exploitation des minerais tout en entraînant une érosion considérable des sols et la sédimentation dans les cours d’eau. Il est donc clair qu’en dehors de tout moralisme, l’espèce humaine s’est développée d’une façon extraordinaire dès les premiers temps mais avec un impact probablement fort à l’échelle planétaire, ainsi qu’avec l’extraction du charbon puis du pétrole. Enfin, les deux guerres mondiales ont eu un impact considérable sur la concentration de sulfate et de plomb dans l’atmosphère.
En résumé, en 1945, les émissions de gaz à effet de serre explosaient déjà sous l’influence de l’agriculture, l’essentiel des forêts primaires avaient été converties en terres arables, de même que les prairies et les steppes. Il est donc délicat de considérer que l’ère de l’emprise de l’homme sur l’environnement ait commencé si tardivement. Kaplan avance que des changements d’importance sur le milieu sont consubstantiels à l’émergence des civilisations modernes. Toutefois, cela ne doit en aucun cas relativiser l’accélération spectaculaire de la dégradation de la Biosphère ni freiner tout effort pour essayer de modérer nos impacts sur celle-ci dans un souci de durabilité et de responsabilité.
Liens utiles
- Pages personnelles du prof. Kaplan : Unisciences | Atmosphere Regolith Vegetation ARVE
- Institut de dynamiques de la surface terrestre