
Thèse en géographie, soutenue le 13 octobre 2025 par Chanelle Adams, rattachée à l’Institut de géographie et durabilité (IGD) de la FGSE.
Cette thèse retrace le parcours dynamique et le monde volatil du ravintsara (un chémotype à eucalyptol du camphrier Camphora officinarum, également connu sous le nom de Cinnamomum camphora), depuis son introduction et sa naturalisation à Madagascar, son intégration dans les pratiques thérapeutiques locales, jusqu’à son expansion rapide sur le marché international des huiles essentielles durant la pandémie de Covid-19. L’histoire du ravintsara met en lumière les dynamiques complexes propres aux économies de type « boom and bust », ainsi que les formes de subsistance qui se construisent autour de sa production et de son commerce, marquées par des changements brusques, des crises et des spéculations.
En prenant pour fil conducteur la matérialité volatile de cette plante aromatique, cette recherche interroge les effets des situations de crise sur les personnes dont les moyens de subsistance sont imbriqués dans l’économie du ravintsara : quels risques, quelles vulnérabilités, mais aussi quelles opportunités en émergent. La question centrale de cette étude est la suivante :
Comment les acteurs malgaches ont-ils réagi à l’incertitude du marché du ravintsara et, ce faisant, comment ont-ils redéfini les significations et les valeurs attachées à cette plante comme ressource et comme marchandise ?
S’appuyant sur quinze mois de recherche ethnographique multi-située dans cinq régions des hautes terres centrales de Madagascar (Vakinankaratra, Amoron’i Mania, Analamanga, Alaotra Mangoro et Haute Matsiatra), et sur une analyse critique des archives coloniales, des documents gouvernementaux et des rapports du secteur privé et associatif, cette thèse étudie la co-construction de la valeur du ravintsara à travers un réseau d’interactions incluant cultivateurs, distillateurs, guérisseurs, commerçants, scientifiques, entreprises d’aromathérapie, ONG et institutions étatiques, jusqu’au sommet de l’État.
Croisant l’écologie politique, l’anthropologie, l’histoire des sciences et l’histoire économique de Madagascar, cette thèse mobilise une ethnographie des produits plus-qu’humaines pour analyser comment la volatilité peut à la fois ouvrir des espaces d’opportunisme et renforcer des formes de marginalisation. Elle développe quatre axes d’analyse : l’instabilité des identités et usages de la plante, les dynamiques du travail en contexte de crise, les mécanismes de spéculation dans les marchés informels, et les tentatives d’organisation pour stabiliser la filière.
En replaçant les acteurs malgaches au centre de l’analyse — non pas comme bénéficiaires passifs des marchés mondiaux ou du développement rural, mais comme agents stratégiques et créatifs face à l’incertitude — cette thèse propose une lecture située des transformations de valeur dans une économie mondialisée. Elle accorde également au ravintsara un rôle d’acteur plus-qu’humain dont la matérialité instable et les significations changeantes éclairent des enjeux plus larges de souveraineté, de survie et d’espérance.
En définitive, cette recherche propose le concept de « volatilité » comme cadre théorique pour penser ensemble crise et opportunité, et pour analyser comment des acteurs situés en amont des chaînes de valeur mobilisent cette instabilité comme ressource politique, économique et symbolique. À travers l’étude de cet arbre malgache singulier, elle contribue à une compréhension affinée des relations humains-plantes et des luttes autour de la production de la valeur, du pouvoir et du sens dans le marché global des huiles essentielles.