Les paysages géomorphologiques : valeurs patrimoniales et ressource touristique

Thèse en géographie, soutenue le 22 novembre 2024 par Jonathan Bussard, rattaché à l’Institut de géographie et durabilité (IGD) de la FGSE.

En 1784, l’éruption du Laki a épargné par miracle le village de Kirkjubæjarklaustur : l’immense coulée de lave s’est arrêtée juste devant l’église ! Plus de deux siècles plus tard, les traces de cet événement qui a marqué l’histoire de l’Islande sont encore bien visibles dans le paysage. « L’éruption a tellement affecté cette région, on le voit partout autour de nous, on le voit dans ces champs de lave, explique la maire de Skaftárhreppur. Je pense que c’est très important de les protéger, pour qu’on puisse encore en raconter l’histoire ! ».

Dans les Alpes suisses, l’histoire s’accélère. Les moraines grisâtres qui dominent le grand glacier d’Aletsch indiquent sa position en 1850. Il faut à présent descendre 300 m plus bas pour toucher la glace. Juste à côté, le versant de la montagne, déséquilibré, bascule vers le fond de la vallée qui vient juste d’être déglacé. Les touristes viennent voir le glacier avant qu’il ne soit trop tard, et toute la région a été inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, pour l’intérêt scientifique de ses glaciers, la richesse de ses écosystèmes, et la beauté du paysage. 

Le point commun entre ces deux exemples ? Il s’agit de paysages géomorphologiques, composés de formes du relief et de processus géomorphologiques actifs qui témoignent de l’histoire et de l’évolution de la surface terrestre. De ce fait, ils ont une valeur patrimoniale significative du point de vue des sciences de la Terre qui justifie que suffisamment d’attention soit portée à leur protection. Ils suscitent également un intérêt touristique, qui peut être centré sur la découverte de leur intérêt scientifique (on parle alors de « géotourisme ») ou simplement basé sur leur valeur esthétique. Dans cette thèse de doctorat, des enquêtes interdisciplinaires ont été menées en Islande, en Suisse et au Maroc afin de mieux comprendre ce qui fait la valeur patrimoniale des paysages géomorphologiques, de voir comment ils sont perçus par les acteurs impliqués dans la gestion du territoire, et d’analyser la manière dont ils sont utilisés comme ressource touristique.

Des méthodes innovantes ont été proposées et testées pour évaluer la valeur écologique des paysages géomorphologiques et pour décrire l’évolution dans le temps de leurs valeurs patrimoniales. Le croisement de différentes approches en géographie physique et en géographie humaine a apporté des éclairages nouveaux sur les enjeux de gestion, en particulier sur le rôle des acteurs locaux et des labellisations territoriales (comme le label UNESCO) dans le processus de « patrimonialisation », c’est-à-dire de reconnaissance des valeurs patrimoniales par de larges segments de la société.  

Parmi les principaux résultats, cette recherche montre que la mise en tourisme des paysages géomorphologiques, qui est parfois responsable d’une augmentation de la pression humaine sur la nature et de potentiels impacts négatifs (nouvelles constructions, hausse de la fréquentation, etc.), participe aussi dans certains cas à la reconnaissance patrimoniale, et donc à une protection renforcée du patrimoine géomorphologique, mais à condition que les visiteurs soient sensibilisés aux raisons de le protéger. En Islande, la « conscience patrimoniale » élevée des acteurs locaux et l’existence d’un cadre institutionnel favorable à la protection des sites géologiques ont permis le développement d’un tourisme peu impactant pour les paysages géomorphologiques. Dans les Alpes suisses, une analyse détaillée des offres de médiation scientifique existantes montre que seule la moitié d’entre elles parviennent à démontrer l’intérêt scientifique ; il y a donc un potentiel d’amélioration. Dans l’Atlas marocain, des ateliers de formation à l’attention des guides locaux ont été préparés et animés dans le but de renforcer leur capacité à reconnaitre les formes du relief et expliquer les étapes de leur formation, ce qui constitue un apport majeur et appliqué de ce travail de recherche.

En conclusion, cette thèse donne des arguments en faveur d’une meilleure prise en compte des caractéristiques géomorphologiques du paysage, tant dans le domaine de la protection de la nature que dans celui du tourisme.

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