Thèse en sciences de la Terre, soutenue le 1er novembre 2024 par Thomas Groscolas, rattaché à l’Institut des sciences de la Terre (ISTE) de la FGSE.
L’évolution des chambres magmatiques en profondeur joue un rôle important en contrôlant le déclenchement d’éruption volcanique, le dégazage magmatique et la formation de gisement d’importance économique. Cependant, le lien entre ces différents processus est mal connu, principalement à cause de la faible quantité d’affleurements rocheux montrant des relations claires entre chambre magmatique et volcanisme de surface. De récentes études tentant de déterminer les mécanismes responsables de ces éruptions ainsi que le temps nécessaire associé ont bénéficié à l’amélioration des techniques permettant :
- la datation radiométrique précise de minéraux comme les zircons,
- l’analyse de la composition des minéraux.
La datation de zircon et l’homogénéisation de la composition chimique des minéraux dans le temps, couramment appelée diffusion, sont utilisées afin de déterminer le temps nécessaire à une chambre magmatique pour accumuler du magma par séparation entre magma et cristaux. En liant cela à des données géophysiques (par exemple, sismique), il est possible de définir une probabilité d’éruption pour un volcan. L’analyse d’éléments chimiques comme les volatils (par exemple, H2O, CO2, S, Cl) dans certains minéraux permet, quant à elle, d’identifier la présence d’un fluide d’origine magmatique. D’après certaines études, ces fluides magmatiques sont un des déclencheurs d’éruption volcanique et sont responsables du caractère explosif de certains volcans. L’analyse des éléments volatils et la diffusion d’éléments chimiques dans les minéraux ont largement été employées dans des échantillons de roche volcanique du fait de leur refroidissement rapide. À l’inverse, les roches magmatiques, cristallisant lentement en profondeur, sont sujettes à un rééquilibre prolongé des éléments chimiques au sein des minéraux.
Cette étude reconstruit l’évolution des magmas constituant deux chambres magmatiques Alpines ayant cristallisé lentement en profondeur durant la collision entre les plaques tectoniques Européenne et Adriatique, Western Adamello et Re di Castello (Adamello, Italie). Dans le but de déterminer les processus permettant au magma interstitiel de se séparer des cristaux, une étude des roches de l’Adamello a été réalisée et basée sur des observations détaillées de terrain et lames minces ainsi que des analyses de la composition des roches et des minéraux. Cela a permis de déterminer la proportion de magma qui a été séparée des cristaux afin de former des zones d’extraction de magma et, potentiellement, des éruptions volcaniques.
Pour connaître le temps qu’ont passé les minéraux à haute température, beaucoup d’études utilisent la diffusion d’éléments chimiques dans ces minéraux. Afin d’appliquer cette technique, une connaissance des vitesses de diffusion des éléments chimiques doit être assurée au préalable. La façon la plus courante de déterminer ces vitesses de diffusion, ou coefficients de diffusion, est basée sur des expériences à haute température. Dans ces expériences, un cristal du minéral étudié est placé dans une poudre enrichie en certains éléments dont les vitesses de diffusion veulent être connues, le tout dans une capsule en platine placée à des températures supérieures à 800 °C. Bien que des coefficients de diffusion du Sr et du Ba dans les plagioclases, le minéral le plus abondant dans la croûte terrestre, ont été précédemment déterminés, des études récentes ont démontré que la méthode employée n’est probablement pas adéquate. De nouvelles expériences ont été réalisées à partir de cristaux de plagioclase placés dans une poudre synthétisée dont l’assemblage de minéraux et la composition ont été déterminées au préalable. Les coefficients de diffusion du Sr et du Ba sont similaires entre eux mais diffèrent de ceux des études antérieures respectivement d’un facteur ~100 et ~3. Cette différence est expliquée par l’absence d’un assemblage de minéraux stable dans certaines des expériences des études précédentes.
Dans certaines roches de l’Adamello, la composition chimique du cœur à la bordure de certains minéraux, plus communément appelée un profil chimique, a révélé la présence de variations, ou zonations. Toutes ces variations, exceptées celles dans le cœur des plagioclases, sont liées à des minéraux cristallisant très tardivement dans le magma et, par conséquent, au refroidissement de la roche. La vitesse de ce refroidissement a été calculée à partir de la vitesse de diffusion d’éléments chimiques (Sr et Ba dans les plagioclases et feldspaths alcalins, Ti dans le quartz) et avoisine 150 °C par million d’années. Enfin, la zonation entre cœurs et manteaux des plagioclases est reproduite par un temps de résidence dans la chambre magmatique allant de ~20 000 à ~110 000 ans, suivi par le refroidissement déterminé précédemment. Ces temps, similaires aux âges obtenus par la datation des zircons provenant de l’Adamello et d’autres chambres magmatiques, représentent probablement le temps d’incubation idéal pour former une chambre magmatique capable de générer une éruption.
Enfin, les concentrations en volatils dans les apatites, un minéral mineur dans les roches étudiées, ont été déterminées afin d’évaluer la présence d’un fluide magmatique et son rôle potentiel lors de la séparation entre cristaux et magma. À partir de l’association entre la composition des apatites et des plagioclases, il a été possible de conclure que le magma a atteint la saturation en fluide avant que l’apatite ne commence à cristalliser. Après le développement d’un modèle reproduisant la composition en volatils du magma et en considérant les conditions nécessaires à une éruption, il a été démontré que les observations de séparation entre cristaux et magma en Adamello résultent d’une combinaison entre la réinjection de magma dans la chambre magmatique et la formation d’un fluide magmatique de faible densité.