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Reconstruction artistique du biote de Cabrières (© Christian McCall)
Près de 400 fossiles à préservation exceptionnelle et datant de 470 millions d’année ont été découverts dans le sud de la France, par un couple d’amateurs. Ce nouveau site fossilifère d’importance mondiale a été analysé par des scientifiques de l’UNIL, en collaboration avec le CNRS et des équipes internationales. Il fournit des informations inédites sur les écosystèmes polaires de la période ordovicienne.
Des amateurs passionnés de paléontologie ont mis au jour un site fossilifère qui compte parmi les plus riches et diversifiés au monde pour la période de l’Ordovicien inférieur (il y a 470 millions d’années environ). Situé dans la Montagne noire, dans le département de l’Hérault en France, ce gisement de plus de 400 fossiles se distingue par une faune à préservation exceptionnelle. En plus de coquillages, il recèle – et c’est une rareté – des éléments mous tels que des systèmes digestifs et des cuticules, dans un état de conservation remarquable. Autre particularité, ce biote se situait autrefois au plus proche du pôle Sud, ce qui permet de lever le voile sur la composition d’écosystèmes les plus au sud jamais observés pour cette époque.
A la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’Université de Lausanne (UNIL), des scientifiques ont collaboré avec le CNRS (communiqué CNRS) et des équipes internationales pour effectuer les premières analyses sur ce gisement appelé biote de Cabrières. Les résultats sont publiés dans Nature Ecology & Evolution.
Les réfugiés climatiques de l’Ordovicien
Les analyses révèlent la présence d’arthropodes (groupe qui inclut les mille-pattes et les crevettes) et de cnidaires (groupe qui inclut les méduses et les coraux), ainsi que d’une large quantité d’algues et d’éponges. La grande biodiversité du site laisse présager que cette zone servait de refuge pour les espèces ayant fui les températures élevées qui régnaient plus au nord à cette époque.
« A ce moment de réchauffement climatique intense, les communautés polaires vivaient dans des refuges à de hautes latitudes, échappant aux températures équatoriales extrêmes », précise Farid Saleh, chercheur à l’Université de Lausanne, et premier auteur de l’étude. « Le passé lointain nous donne un aperçu de notre possible futur proche » ajoute Jonathan Antcliffe, chercheur à l’Université de Lausanne et co-auteur de l’étude.
De leur côté, Eric Monceret et Sylvie Monceret-Goujon, les amateurs à qui l’on doit la découverte du site, ne cachent pas leur enthousiasme : « Nous sommes dans la prospection et la recherche de fossiles depuis l’âge de vingt ans », indique Eric Monceret. « Lorsque nous sommes tombés sur cette faune étonnante, nous avons compris l’importance de la découverte et nous sommes passés de l’étonnement à l’excitation », ajoute Sylvie Monceret-Goujon.
La première publication scientifique marque le début d’un programme de recherche de plusieurs années, comprenant des fouilles de grande ampleur ainsi que des analyses approfondies des fossiles. Il s’agira, en utilisant des techniques d’imagerie novatrices, de dévoiler l’anatomie interne et externe des organismes, ainsi que de déduire leurs liens de parenté et leur mode de vie.
Référence bibliographie
F. Saleh, L. Lustri, P. Gueriau, G. J.-M. Potin, F. Pérez-Peris, L. Laibl, V. Jamart, A. Vite, J. B. Antcliffe, A. C. Daley, M. Nohejlová, C. Dupichaud, S. Schöder, E. Bérard, S. Lynch, H. B. Drage, R. Vaucher, M. Vidal, E. Monceret, S. Monceret and B. Lefebvre, The Cabrières Biota (France) provides insights into Ordovician polar ecosystems, Nature Ecology & Evolution, 2024
« Nous sommes dans la prospection et la recherche de fossiles depuis l’âge de vingt ans »
Eric Monceret et Sylvie Monceret-Goujon
Passionné·e·s de paléontologie, Sylvie et Eric Monceret sont parvenu·e·s, à force de travail et de persévérance, à mettre à jour un site fossilifère d’importance mondiale dans le Montagne noire, au sud de la France. Dans la vie, ce couple de Français occupe des postes plus traditionnels. Sylvie Monceret est professeure d’histoire, géographie, éducation morale et civique dans un collège, et Eric Monceret est chargé de projet ingénierie raccordement dans une entreprise. Entretien avec ces amateurs chevronnés.
D’où vous vient cet intérêt pour la recherche de fossiles?
Nous sommes dans la prospection et la recherche de fossiles depuis l’âge de vingt ans. Cette passion nous est venue grâce aux parents de Sylvie, Claude et Monique Goujon, qui sont des amateurs de fossiles et de minéraux depuis toujours. Suite à la lecture de quelques notes et de par la proximité de la Montagne Noire, nous avons commencé à prospecter le massif.
La diversité et la richesse des terrains nous a de suite passionné.e.s et nous avons voulu en savoir plus. Nous avons cherché à prendre contact avec les Maîtres de la paléontologie de la Montagne Noire, et avons eu la chance de rencontrer l’abbé Courtessole en 1989 qui nous a encouragé.e.s à continuer à chercher et nous a présenté à son successeur Daniel Vizcaïno. Par la suite, nous avons travaillé avec Bertrand Lefebvre du CNRS de Lyon et aujourd’hui avec Farid Saleh de l’Université de Lausanne.
Comment avez-vous découvert ce site si particulier?
Du fait de la proximité du site de Cabrières avec la maison des parents de Sylvie, nous avions déjà prospecté et trouvé la faune classique. Puis, il y a sept ou huit ans, nous avons récolté quelques fossiles à corps mous dans ces niveaux. Malheureusement, ils étaient beaucoup trop rares pour en faire un site à conservation exceptionnelle.
Nous nous sommes engagés dans d‘autres projets, mais nous avons toujours porté une attention particulière à ces niveaux que jusqu’alors nous ne prospections qu’occasionnellement. C’est au cours de l’une de ces visites, que nous sommes tombés sur cette faune étonnante. Après quelques sorties supplémentaires, nous avons compris l’importance de la découverte et nous sommes passés de l’étonnement à l’excitation.
Quelle méthode utilisez-vous ?
D’abord, nous utilisons le travail des Anciens, proches ou lointains, qui ont déjà réfléchi, prospecté, écrit sur la Montagne Noire. Ce sont leurs découvertes et leurs raisonnements qui, associés à notre connaissance du terrain nous permettent d’avancer. C’est un gros travail de préparation afin de réunir un maximum de biblio pour définir un cadre général et déterminer des zones précises à prospecter.
Ensuite, il faut avoir une bonne connaissance de la stratigraphie, retrouver les couches qui présentent des faciès reconnaissables et se positionner par rapport à elles. Ici à Cabrières, écailles et nappes charriées aux couches inversées rendent le travail difficile.
Enfin, il faut faire un travail de sondage et casser un peu partout, faire des trous pour voir ce qu’il y a dedans. Et pour cela il faut s’équiper car le relief est parfois abrupt et la végétation souvent dense et piquante. On marche souvent dans les traces des sangliers qui ont forcé le passage à travers les arbres.
Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez compris que votre découverte était importante ?
Notre ressenti a évolué au cours du temps. Au début des recherches, nous étions surtout surpris par la particularité des faunes que nous trouvions. Certaines étaient connues mais d’autres présentaient un état de conservation inhabituel ou n’avaient carrément jamais été trouvées ou reconnues dans la Montagne Noire.
Nous avions peur de nous tromper dans nos déterminations et nous n’osions pas espérer qu’elles soient justes. Nous avons compris que notre découverte était importante au fur et à mesure que nous cumulions ces organismes indéterminés et de conservation exceptionnelle. Et nous avons réalisé que cette découverte allait avoir des conséquences importantes lorsque Bertrand Lefebvre nous a conseillé de faire passer quelques uns de nos échantillons à Farid Saleh, et que celui-ci nous a immédiatement demandé de travailler avec lui.
Enfin, nous avons ressenti une grande satisfaction personnelle à plusieurs niveaux. En particulier celle d’avoir la chance de nous inscrire dans la Grande liste des chercheurs amateurs reconnus de la Montagne Noire mais aussi celle de participer à la construction de la connaissance de notre planète.
Allez-vous continuer à collaborer avec les scientifiques ?
Oui bien sûr, s’ils veulent toujours bien de nous ! Nous collaborons avec eux depuis presque toujours et nous continuerons à le faire, en particulier avec Farid et son équipe pour plusieurs raisons. D’abord parce que nous avons confiance en eux, ce qui garantit une bonne utilisation de nos recherches. Mais aussi parce qu’ils sont respectueux et reconnaissants, et qu’ils ont su nous mettre à l’honneur dans leur publication.