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Thèse en géographie, soutenue le 7 décembre 2023 par Laura Neville, rattachée à l’Institut de géographie et durabilité (IGD) de la FGSE.
Qu’il s’agisse de bouteilles en plastique qui obstruent les canaux, d’amas de déchets de construction qui forment des étendues de terre sur l’eau, de fermetures de décharges manquées ou de ramasseurs des déchets déplacés des routes de recyclage, les disposabilités urbaines sont des manifestations des relations socio-matérielles à multiples facettes qui entourent les déchets. La thèse étudie ces disposabilités urbaines interconnectées et la manière dont elles définissent les politiques relationnelles de création de lieux (place-making) dans la ville. La thèse examine ces relations socio-matérielles, telles qu’elles se déploient à travers les échelles urbaines, les espaces et les temporalités, et comment elles en viennent à compter pour façonner des politiques relationnelles de place-making dans la ville. Traitant les déchets et les processus de disposabilité comme des réalités socialement, culturellement, économiquement et politiquement situées, la thèse soutient que les disposabilités urbaines sont façonnées par des continuités historiques de structures de pouvoir et d’inégalités urbaines et sont poreuses aux formes complexes de violence. En se concentrant sur les pratiques quotidiennes et banales des habitants de Carthagène avec les déchets, elle se concentre en particulier sur les processus corporels dans et à travers lequel les disposabilités urbaines sont produites, selon des dimensions de classe sociale, de race et de genre. À travers les processus corporels, les politiques relationnelles de place-making sont continuellement mises en œuvre, contestées et façonnées dans et par les déchets. Les déchets sont donc considérés comme constitutifs de l’appartenance urbaine et des politiques relationnelles de place-making. L’ouverture de ces disposabilités urbaines suggère que les pratiques basées sur les déchets peuvent sous-tendre la production sociale du place-making et préfigurer les futurs urbains.
S’appuyant sur une recherche ethnographique à Cartagena, la thèse retrace la circulation, l’(im)-mobilité et le confinement des déchets ménagers dans des quartiers à revenus faibles, moyens et élevés. Elle y explore les mécanismes d’adaptation des résidents en l’absence d’infrastructures de gestion des déchets dans un quartier auto-construit ; les imaginaires sociaux des habitants en matière de gestion des déchets dans un quartier à revenus moyen-faibles ; les aspirations des résidents en matière de recyclage dans les espaces de l’élite et ; les arrangements quotidiens autours des matériaux de rebut des ramasseurs de déchets à travers la ville. Les diverses pratiques examinées, bien qu’elles ne soient pas ouvertement conflictuelles, sont toutes des moyens d’exprimer des revendications subtiles et de créer un lieu avec les déchets.
La juxtaposition des pratiques quotidiennes des habitants basées sur les déchets révèle la reconfiguration des relations et des subjectivités de genre, de race et de classe, ainsi que les contradictions inhérentes à la politique relationnelle de place-making. Premièrement, elle montre les discours de classe, les significations, le symbolisme, les relations socio-matérielles et politiques qui entourent les pratiques de gestion des déchets – à travers lesquels les inégalités urbaines sont reproduites dans la ville. Deuxièmement, elle met en lumière le corps, en tant que site intime de possibilités politiques et de reproduction des inégalités urbaines. Elle met en évidence les processus qui reproduisent la racialisation des corps et des subjectivités afro-colombiens dans le travail infrastructurel genré de traitement des déchets ménagers. Elle soutient que la corporéité des politiques relationnelles de place-making se déploient avec des matérialités plus-que-humaines, et que la racialisation représente des expériences partagées de proximité continue avec les déchets et les toxines. Troisièmement, elle montre les rencontres quotidiennes avec l’État, qui se déroulent à travers les pratiques de gestion des déchets – révélant la présence ambivalente de l’État – et dessinant des relations intimes entre les habitants et des structures de pouvoir plus larges, qui, de manière subtile, façonnent l’appartenance urbaine et la possibilité de revendiquer la ville. La thèse présente une contribution aux intersections de la feminist urban political ecology, des Black Geographies, des études urbaines postcoloniales et des débats décoloniaux latino-américains, en proposant de nouvelles façons de lire la pluralité inhérente aux politiques relationnelles de place-making à l’heure de où les habitants des villes sont confrontés à des défis avec les déchets en constante évolution.