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En analysant des milliers de données émanant d’échantillons de roches vieilles de 3,8 à 1,8 milliardsd’années, une équipe de scientifiques de l’UNIL a démontré que le phénomène de l’oxydation du fer se serait produit bien plus tôt que ce que l’on pensait sur la terre. Cette découverte pose beaucoup d’interrogations. Quelle est la cause de cette oxydation ? Des bactéries ? De l’oxygène ?
De quand date l’apparition de l’oxygène sur la Terre ? D’après le consensus scientifique, il se serait massivement accumulé dans l’atmosphère il y a près de 2,4 milliards d’années, oxydant son environnement. Avant cet événement, les hypothèses traditionnelles considèrent qu’il n’existait pratiquement aucun phénomène d’oxydation.
A l’Université de Lausanne (UNIL), des scientifiques ont donc été surpris d’observer des traces d’oxydation de fer dans des roches datant de -3,8 à -1,8 milliards d’années, soit bien avant ce que l’on nomme communément « la grande oxydation ». Les résultats ont été publiés dans Earth and Planetary Science Letters.
Derrière cette découverte se trouve une méthode d’analyse novatrice utilisée par les scientifiques. Grâce à cette approche inédite, ils ont pu analyser des grains de minéraux d’une taille allant jusqu’à 5 microns, et étudier un panel de roches bien plus large que ce que permettent les méthodes classiques. « J’avais dans mes tiroirs différents types de roches très anciennes que j’avais collectées au fil des années, en provenance d’Australie, d’Afrique du Sud et du Gabon », explique Johanna Marin Carbonne, co-auteure de l’étude et professeure à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’UNIL. « Dans un premier temps, nous les avons analysées avec cette méthode prometteuse, ce qui n’avait jamais été fait à cette échelle. » La chercheuse Juliette Dupeyron, alors étudiante en Master et aujourd’hui doctorante à l’Institut des sciences de la Terre, s’est ensuite attelée à compiler ces données et dégager des tendances. Elle a débouché sur ces résultats inattendus.
Deux hypothèses à départager
Que signifient ces nouvelles données ? Que ces roches anciennes ont été confrontées à un oxydant bien avant l’apparition massive de l’oxygène. Trois hypothèses se dessinent pour l’instant. Le fer aurait pu être oxydé par de la lumière UV; par des micro-organismes tels que des bactéries ; ou par de l’oxygène, produit par des bactéries. « Le scénario des rayons UV a probablement eu lieu, mais dans de faibles proportions et ne serait pas suffisant pour expliquer nos observations », commente Juliette Dupeyron, première auteure de l’étude. Quant aux deux hypothèses suivantes, il n’est pas possible de les départager en l’état actuel des choses. « Ce qui est certain, c’est que ces résultats interrogent. Ils posent des questions par rapport aux modèles actuels, en particulier, quant à la date des débuts de l’oxygénation sur terre ».
Tout reste cependant à découvrir. « Nous aimerions que d’autres études scientifiques soient menées, afin de creuser cette découverte », déclare la chercheuse. « Il y a encore énormément de travail à réaliser afin de faire la lumière sur ces observations ». Johanna Marin-Carbonne ajoute : « Seuls 10% des roches de cet âge-là sont disponibles actuellement pour les scientifiques. Ainsi, il est difficile de reconstituer avec certitude tous les phénomènes qui ont eu lieu à cette époque. »
Les techniques derrière cette découverte
Traditionnellement, les scientifiques utilisent, pour l’analyse des roches anciennes, la méthode de la spectrométrie de masse à source plasma (MC-ICP-MS), une méthode qui nécessite de séparer le minéral d’intérêt, ici la pyrite, du reste de la roche, puis de passer par différents procédés chimiques pour récupérer l’élément chimique souhaité, le fer. L’inconvénient, c’est que l’analyse de roches pauvres en pyrite est fastidieuse, ce qui a limité les études précédentes à un seul type de roche.
Utilisées dans cette étude, les techniques de spectrométrie de masse à ions secondaires (SIMS) et à ablation laser (LA-MC-ICP-MS) ouvrent quant à elles de nouvelles portes car elles permettent d’analyser des grains de minéraux de l’ordre du micron, et peuvent ainsi s’appliquer à panel de roches bien plus large. Enfin, elles offrent la possibilité d’étudier directement la surface de l’échantillon, sans besoin de séparer le minéral d’intérêt du reste de la roche, préservant ainsi l’organisation de la roche.
De quelles roches parle-t-on ?
Les roches portent la marque de leurs interactions passées avec leur environnement. En analysant des roches très anciennes, il est possible de retracer leur évolution et d’en déduire les phénomènes environnementaux des différentes époques. Dans cette étude, les scientifiques s’intéressent à la présence de grains de pyrite dans les roches, qui est un minéral contenant du soufre et du fer. La composition chimique du fer – sa composition isotopique, plus précisément- contient en effet des informations très importantes pour comprendre le passé.
Référence bibliographique
- Juliette Dupeyron, Marie-Nëlle Decraene, Johanna Marin-Carbonne, Vincent Busigny, Formation pathways of Precambrian sedimentary pyrite: insights from in situ Fe isotopes, Earth and Planetary Science Letters, 2023