Thèse en géographie, soutenue le 13 octobre 2022 par Marie-Noëlle Decraene, rattaché à l’Institut des sciences de la Terre (ISTE) de la FGSE.
Comprendre l’apparition et le développement de la vie nécessite d’étudier des roches très anciennes, vieilles de plusieurs milliards d’années. Cette quête des origines de la vie est extrêmement difficile pour deux raisons:
- les premières traces de vie sur Terre sont microbiennes, donc extrêmement petites,
- ces roches ont une histoire complexe, impliquant des processus qui ont modifié leurs apparences et parfois leurs compositions chimiques initiales.
Heureusement, il existe encore sur Terre des roches sédimentaires laminées formées grâce à l’activité d’organismes microbiens. Ces dernières sont appelées stromatolites. Certains stromatolites sont reconnus depuis l’Archéen, soit il y a près de 3.5 Ga (pour le plus vieux spécimen découvert à ce jour), alors que d’autres sont toujours en cours de formation, par exemple dans les milieux marins peu profonds des Bahamas, de la Baie des Requins en Australie ou dans certains lacs volcaniques mexicains.
Reconnaître l’origine biologique (biogénicité) de ces stromatolites anciens est un défi pour la communauté scientifique puisqu’ils ne préservent a priori pas de microorganismes fossilisés. De plus, la structure laminée qui les rend facilement reconnaissable ne peut pas être utilisée seule comme critère de biogénicité, puisque qu’elle peut également résulter de procédés abiotiques (absence d’organismes vivants). Toutefois, les stromatolites contiennent des sulfures de fer (FeS2) micrométriques, connus sous le nom de pyrite. L’intérêt de ces pyrites réside dans leur potentiel d’enregistrer des processus de respiration microbienne à travers leurs compositions isotopiques en fer et/ou en soufre. En effet, les microorganismes ont tendance à mieux assimiler les isotopes légers (54Fe ou 32S) par rapport aux isotopes lourds (56Fe ou 34S), entrainant des différences de masse spécifiques aux différents processus microbiens. Comme le fer est un élément sensible aux réactions d’oxydation et de réduction (réactions redox), la géochimie du fer est couramment utilisée pour tracer des changements redox de l’environnement et/ou l’activité microbienne.
Cette thèse se propose d’explorer la variabilité de la composition isotopique du fer des pyrites présents dans les stromatolites à différentes périodes géologiques, afin de déterminer :
- si les pyrites peuvent être utilisées comme biosignatures,
- l’influence et l’évolution des métabolismes microbiens utilisant le fer dans des environnements différents,
- la capacité des compositions isotopiques en fer à renseigner des changements redox globaux comme l’oxygénation de l’atmosphère il y a 2.4 Ga et/ou des variations de l’oxygénation de l’océan pendant des crises d’extinction des espèces (exemple avec la crise du Smithien-Spathien).
Pour répondre à ces questions, une comparaison d’échantillons anciens archéens (Formation de Tumbiana, 2.7 Ga) et phanérozoiques (bassin de Sonoma, 251 Ma) a été réalisée avec des microbialites modernes provenant de Cayo Coco (Cuba) et du lac Atexcac (Mexique). Dans toutes ces formations, les pyrites ont enregistré une très grande variabilité des compositions isotopiques du fer. Dans les microbialites modernes, les compositions isotopiques du fer reflètent des processus de réduction des oxydes de fer contrôlés par des microorganismes ferri-réducteurs indépendant des conditions chimiques de l’environnement. Les compositions isotopiques mesurées dans les sédiments du Phanérozoïque montrent un contrôle de l’environnement de dépôt (degré de ventilation du sédiment) et de la nature des dépôts (i.e., différentes signatures selon la présence ou l’absence des dépôts microbiens).
Dans les échantillons archéens, la large gamme isotopique mesurée est interprétée comme résultant de procédés d’oxydation et de réduction complexes, contrôlés par l’activité de microorganismes. Cette thèse démontre l’importance de processus locaux dans la formation des pyrites préservées dans les stromatolites, comme l’influence de gradient redox à l’échelle du sédiment ou du biofilm et des différents métabolismes microbiens qui composent le biofilm. Ainsi, les pyrites associées à ces dépôts microbiens ne semblent pas permettre de reconstruire les signatures de l’environnement global. En revanche, ces pyrites peuvent être utilisées comme des biosignatures, à conditions de mener des études détaillées combinant l’isotopie du Fe, du S et minéralogie.