Thèse en géographie, soutenue le 25 août 2022 par Dimitri Marincek, rattaché à l’Institut de géographie et durabilité (IGD) de la FGSE.
Depuis une dizaine d’années, les ventes de vélos à assistance électrique (VAE) explosent en Suisse et ailleurs dans le monde, représentant aujourd’hui une part importante des vélos vendus. Les VAE sont dotés d’une assistance qui s’engage lors du pédalage en démultipliant la force de l’usager. En réduisant l’effort nécessaire, ils ont le potentiel d’étendre la pratique du vélo à un plus large public malgré des capacités physiques limitées ou l’âge. Ils permettent également d’accroître la portée spatiale du vélo dans des territoires vallonnés et sur de longues distances et de multiplier les usages du vélo, comme pour le transport de courses ou d’enfants. L’essor du VAE s’inscrit plus largement dans une renaissance de la pratique du vélo dans les villes depuis une vingtaine d’années. Dans le contexte d’une transition vers une mobilité durable, le VAE se profile comme un mode de transport idéal pour les villes, de par sa faible empreinte environnementale et spatiale et sa capacité de remplacement des trajets en voiture. Face au défi posé par des sociétés de plus en plus sédentaires, le VAE représente une mobilité active qui permet une activité physique quotidienne bénéfique pour la santé.
Cette thèse se concentre sur l’adoption du vélo à assistance électrique (VAE). Elle cherche à comprendre ce phénomène du point de vue de ses usagers, en se demandant ce qui les pousse à adopter un VAE et comment ils se l’approprient et l’utilisent dans la vie courante. Les données utilisées dans cette thèse ont été collectées dans le contexte d’un projet de recherche sur le VAE à Lausanne, avec le partenariat des Services Industriels de la Ville de Lausanne (SiL). La partie quantitative inclut une enquête par questionnaire remplie par plus de 1400 usagers de VAE ayant bénéficiée d’une subvention pour leur achat octroyée par les SiL. La partie qualitative comprend des entretiens biographiques semi-directifs avec 24 usagers de VAE.
D’un point de vue théorique, cette thèse place l’étude du vélo à assistance électrique dans le contexte d’un champ de recherche émergeant sur la pratique du vélo, où les approches issues des sciences sociales jouent un rôle grandissant. L’adoption du VAE y est analysée à travers un cadre théorique qui combine deux approches majeures. D’une part, une approche biographique qui voit l’adoption du VAE à travers le temps, comme la continuité d’une pratique du vélo existante dans le parcours de vie. D’autre part, une approche systémique du vélo, la vélomobilité, qui définit la pratique du VAE comme la relation entre un potentiel individuel de mobilité et un potentiel d’accueil du territoire pour le vélo.
La partie centrale de la thèse se compose de cinq articles publiés ou soumis dans des revues scientifiques qui apportent chacun un éclairage différent sur le phénomène de l’adoption du VAE. Les trois premiers articles portent sur l’adoption du VAE dans une approche biographique. Le premier article se base sur les entretiens pour analyser les « trajectoires cyclistes » des usagers de VAE, c’est-à-dire leur rapport à la pratique du vélo avant l’adoption du VAE. Deux types de trajectoires sont identifiées : les trajectoires résilientes, où le VAE représente une manière de continuer une pratique du vélo existante, et les trajectoires restauratrices, où il permet de reprendre le vélo après une interruption de la pratique ou de s’y mettre régulièrement. Le second article approfondit ce résultat en combinant les entretiens et les résultats de l’enquête par questionnaire pour analyser les caractéristiques propres aux personnes dans chacune de ces deux trajectoires. Le troisième article poursuit cette approche biographique en considérant le rôle de certains événements-clés dans le parcours de vie (déménagements, naissances d’enfants) comme déclencheurs de l’adoption du VAE.
Le quatrième article se concentre sur l’usage du VAE comme la rencontre entre un potentiel individuel de mobilité et un potentiel d’accueil du territoire. Il s’intéresse aux facteurs qui permettent d’expliquer la fréquence d’utilisation du VAE. Ces facteurs situent à la fois au niveau des usages (l’utilisation du VAE pour les trajets utilitaires, l’usage passé de modes alternatifs à la voiture), du territoire (la proximité au lieu de travail), et de l’individu (l’absence de modes de transport concurrents, un achat récent du VAE, la capacité à faire du vélo dans différentes situations, de fortes motivations d’achat, et une faible sensibilité aux obstacles).
Le cinquième article porte sur les frictions qui résultent de la rencontre entre potentiels individuels et territoriaux, à travers la thématique de la sécurité des usagers de VAE à Lausanne. Sur la base de l’aisance à rouler dans différentes situations, de la satisfaction avec les aménagements cyclables, et de la sensibilité aux obstacles, cinq groupes d’usagers du VAE sont identifiés : les confiants en toute situation, les récréatifs sur route, les utilitaires évitant le trafic, les usagers de pistes peu confiants. Malgré le potentiel du VAE, il subsiste d’importantes différences dans la sécurité perçue en fonction du genre, de l’âge, et de la fréquence d’utilisation, tandis que seuls une partie des cyclistes actuels sont à l’aise dans les conditions actuelles. La sécurité cyclable reste donc une barrière au développement du VAE.
La conclusion offre une réflexion sur les contributions de cette thèse pour la recherche, qui développe une approche à la fois biographique et systémique qui pourrait être poursuivie dans différents contextes spatiaux d’étude, et pour étudier les changements dans l’utilisation du VAE au-delà de l’adoption. Plusieurs recommandations sont formulées pour accompagner le développement du VAE. Agir sur le potentiel individuel de mobilité passe par le renforcement de l’accès aux VAE à travers des subventions ciblant les événements-clés associés aux pratiques de mobilité (déménagements, naissances d’enfants, retraite), le renforcement des compétences cyclistes grâce à des cours et des sorties de groupe, ou la promotion d’une image positive et « normale » du VAE. Agir sur le potentiel d’accueil du territoire demande l’amélioration des conditions de sécurité à travers des aménagements cyclables séparés du trafic motorisé, et des restrictions sur le trafic motorisé au centre-ville.