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Le Chengjang Biota est un assemblage fossilifère très important, notamment en regard de sa richesse faunistique et de la qualité de conservation des espèces qu’il renferme. Romain Vaucher, post-doctorant à l’ISTE, a contribué aux recherches menée par Farid Saleh (Université de Yunnan) ayant permis de déterminer que le paléoenvironnement de ce site était un delta. Ce résultat totalement inédit a valu à l’équipe de recherche une publication dans le journal Nature Communications.
Le Chengjang Biota : un témoin privilégié de l’Explosion du Cambrien
L’Explosion du Cambrien (ou big bang zoologique) s’est produite il y a un peu plus de 500 millions d’années. Au cours de cet événement-clé dans l’évolution des espèces, de nombreuses formes végétales et animales se sont différenciées en un laps de temps relativement court (quelques dizaines de millions d’années). Plusieurs sites fossilifères témoignent de cette période charnière, l’un des plus connu étant le Burgess Shale découvert en 1909 en Colombie Britannique (Canada).
En 1984, un autre site fossilifère remarquable a été découvert dans l’actuelle province du Yunnan en Chine. Ce site renferme la faune du Chengjang Biota ayant également vécu durant l’Explosion du Cambrien. Il s’agit de l’un des plus anciens gisements de fossiles identifiés (~ 518 millions d’années), renfermant plus de 250 espèces animales à préservations exceptionnelles. Ce site de haute importance scientifique a été classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 2012.
De nombreuses recherches ont permis de documenter précisément la faune de ce site. Cependant l’environnement dans lequel ces animaux ont évolué n’est toujours pas identifié. Les affleurements étudiés jusqu’ici ont été altérés par l’érosion naturelle, empêchant l’analyse minutieuse des dépôts sédimentaires. L’interprétation de ces affleurements indique que l’environnement devait correspondre à un littoral marin, mais jusqu’à présent il n’y a pas de consensus sur la nature de ce littoral et des conditions de vie qui y régnaient (influence des vagues, des marées, de la profondeur, etc.), ni sur les conditions ayant favorisé la préservation exceptionnelle des fossiles.
L’étude des sédiments fins pour déterminer le paléoenvironnement
L’importance du site du Chengjang Biota, et les progrès réalisés en sédimentologie au cours des 20 dernières années ont motivé le forage d’une carotte de plus de 130 mètres de long dans des roches sédimentaires contenant le Chengjiang Biota, afin d’étudier la structure et la dynamique des dépôts successifs et mieux comprendre la nature de son paléoenvironnement. Une équipe de recherche internationale comprenant des taphonomistes, des géochimistes et des paléontologues s’est penchée sur l’étude de ces sédiments. Romain Vaucher a joué le rôle d’expert pour l’interprétation des structures sédimentaires. Au cours de son doctorat, une partie de son travail a porté sur les schistes des Fezouata (Maroc), un site fossilifère à préservation exceptionnelle datant de l’Ordovicien.
Les analyses des couches sédimentaires de la carotte ont révélé des conditions de sédimentation très variables. Les auteurs ont notamment relevé des indicateurs de turbidités pouvant correspondre à une zone côtière sujette aux vagues et aux tempêtes, et des dépôts correspondant à des apports de boue plus ou moins intenses. Le niveau de salinité s’est également avéré variable entre les différentes couches. Ce schéma de succession sédimentaire a pu être attribué à l’influence conjointe des processus fluviaux et marins, menant à la conclusion que l’environnement du Chengjang Biota au Cambrien correspondait à un delta. Les structures sédimentaires observées le long de la carotte correspondent d’ailleurs à celles que l’on peut observer sur des deltas actuels.
Le résultat inattendu de cette étude : les organismes du Chengjang Biota ont évolué dans une zone de delta apparemment peu propice au développement la vie
Les sites fossilifères riches et bien préservés sont généralement décrits comme ayant bénéficié de conditions environnementales stables, tels que des littoraux marins assez profonds. Ces conditions semblent avoir été favorables au développement de la vie au Cambrien et être une constante pour les sites fossilifère à préservations exceptionnelles de conservation des fossiles.
Le fait que la vie animale se soit développée de façon aussi prolifique dans une zone de delta était tout à fait inattendu. En effet, ce milieu représente un niveau de stress très élevé pour les organismes vivants, tant au niveau des variations de salinité ou d’oxygénation de l’eau, qu’au niveau des apports irréguliers et massifs de sédiments charriés par les crues du fleuve. Ces conditions environnementales difficiles se reflètent dans la composition des fossiles du site. Par exemple, on y trouve de nombreux fossiles d’organismes juvéniles, qui ont certainement été enfouis par l’apport brutal de boues charriées lors de crues du fleuve, et l’absence de fossiles d’échinodermes indique un taux de salinité de l’eau trop variable pour ces organismes.
L’exceptionnelle préservation des fossiles dans un environnement aussi instable est également un fait nouveau. Selon les observations effectuées sur la carotte de sédimentation, la zone dans laquelle les fossiles ont été le mieux conservés est celle correspondant au pro-delta (entre l’embouchure du fleuve et le fond marin). A cet endroit la turbidité est relativement faible et un apport de sédiment régulier par le fleuve favorise l’enfouissement rapide des carcasses.
A l’heure actuelle le Chengjang Biota est le seul site lié à l’Explosion du Cambrien pour lequel un environnement de type delta est décrit. L’analyse plus fine des sédiments de sites équivalents pourrait révéler des conditions de vie et de fossilisation moins figées que celles admises actuellement.
Référence bibliographique
Farid Saleh, Changshi Qi, Luis A. Buatois, M. Gabriela Mángano, Maximiliano Paz, Romain Farid Saleh, Changshi Qi, Luis A. Buatois, M. Gabriela Mángano, Maximiliano Paz, Romain Vaucher, Quanfeng Zheng, Xian-Guang Hou, Sarah E. Gabbott & Xiaoya Ma (2022) The Chengjiang Biota inhabited a deltaic environment. Nature Communications
*Dr Farid Saleh est post-doctorant à l’Université de Yunnan en Chine. En 2020, Il a reçu son doctorat de l’Université Lyon 1 (France), pour ses contributions sur la préservation exceptionnelle de l’Ordovicien Inférieur du Maroc. Actuellement, il étudie la préservation exceptionnelle du Cambrien Inférieur en Chine.