Thèse soutenue par Nguyen Thi Hai Van, le 3 décembre 2021, Institut de géographie et durabilité (IGD)
La « transition forestière » (FT) est un concept simple mais puissant. Il établit un lien entre la dynamique du couvert forestier et les processus macrosociaux, politiques et économiques et pourrait fournir des leçons pour une transition plus large vers la durabilité. Cependant, je soutiens que les forêts sont des espaces politiques hautement contestés. Les changements dans les forêts ne se produisent pas seulement de manière passive avec la régénération spontanée des arbres, mais les acteurs les façonnent. La dépendance excessive à l’égard d’une courbe de données simplement basée sur la couverture forestière cache un large éventail complexe de processus et d’acteurs politiques qui jouent des rôles cruciaux dans le façonnement et la « transition » des forêts. Une transition forestière, comme je l’affirme, comprend des arènes de luttes et de conflits entre acteurs pour obtenir le pouvoir sur les ressources dans chaque espace forestier.
Cette thèse se penche sur la courbe superficiellement lisse de l’augmentation de la couverture forestière pour mieux comprendre sa réalité et découvrir comment le phénomène s’est déroulé, par qui et de quelle manière. En m’appuyant sur le cadre analytique de l’écologie politique, je me suis engagée dans les débats sur la gouvernance forestière, la néolibéralisation de la nature et la transformation agraire dans les hautes terres vietnamiennes. La thèse se concentre spécifiquement sur la transformation des forêts et des personnes sur près de trois décennies dans le district d’A Luoi dans la province de Thua Thien Hue au centre du Vietnam, qui a une longue histoire d’intervention de l’État et de conflit sur les forêts. Je montre que sous la canopée des forêts, de nombreux autres processus sont cachés dans le temps et l’espace, et à travers les structures et les agentivités. La recherche s’inspire d’une approche ethnographique relationnelle, et a spécifiquement impliqué un travail de terrain dans deux communes du district d’A Luoi, combinant diverses formes d’observation, d’entretiens, d’enquêtes et de discussions de groupe.
Les résultats sont présentés dans quatre chapitres papier, chacun d’entre eux se concentrant sur une dynamique particulière des processus à l’origine de la transition forestière d’A Luoi. Le premier chapitre cherche à enrichir la littérature sur les voies de la FT en faisant appel au concept de « territorialisation ». Il se concentre sur la première dynamique de la FT, le processus de territorialisation couche par couche au fil du temps et dans chaque espace forestier. La lecture de la FT à travers le prisme de la territorialisation révèle également une transition des relations entre l’Etat et les paysans qui va au-delà des relations de contrôle et de résistance et qui est mieux comprise comme une « co-production ».
Les deux chapitres suivants examinent en profondeur deux processus de territorialisation significatifs et leur dynamique de contrôle des ressources « de l’intérieur » : les plantations d’acacia des petits exploitants et le paiement des services écosystémiques forestiers. Le deuxième chapitre empirique décrit l’émergence de nouveaux mécanismes d’utilisation des terres, d’accès à la terre et de régime de propriété, par lesquels les villageois des hautes terres revendiquent les espaces forestiers à leur avantage, naviguant entre les politiques de l’Etat et les institutions coutumières pour étendre leurs plantations agricoles. Il met ainsi en évidence la deuxième dynamique de la FT: une frontière de contrôle foncier associée à l’essor des plantations d’arbres des petits exploitants.
Le troisième chapitre explore les initiatives de paiement des services écosystémiques forestiers du Vietnam en examinant les résultats de l’action collective dans la gestion des ressources forestières communes. Il représente la troisième dynamique de la FT : les services écosystémiques comme nouvelle valeur des forêts menant à des transitions de gouvernance forestière. La dernière partie se concentre sur l’identité et les moyens de subsistance, en examinant comment les minorités ethniques des hautes terres ont été inscrites dans l’élaboration de l’État et participent à des moyens de subsistance commerciaux centrés sur l’acacia. Devenir de « nouveaux habitants de la forêt » est la quatrième dynamique de la FT. Toutes ces formes de transition se connectent, se mélangent et s’articulent les unes aux autres pour former la véritable « nature » de la FT, que j’appelle la transition forestière 4D. Il montre que, dans la pratique, la transition forestière anticipée est beaucoup moins certaine ou prévisible que ne le suggère la littérature antérieure sur la FT. En conclusion, je propose plusieurs recommandations politiques afin de prendre en compte ces incertitudes pour améliorer la qualité et la durabilité des changements forestiers au Vietnam à l’avenir.