Thèse soutenue par Antoine Guérin, le 24 juin 2021, Institut des sciences de la Terre (ISTE)
L’évolution naturelle des versants rocheux engendre des chutes de blocs et des éboulements qui menacent directement les communautés montagnardes et leurs réseaux de transports. Pour évaluer le risque représenté par ces phénomènes, il est nécessaire de connaître leur fréquence.
Bien que des inventaires historiques existent, la fréquence des chutes de blocs n’est pas aussi bien connue que celle des séismes ou des inondations, pour lesquels les spécialistes définissent couramment, par exemple, une crue décennale. Cela est dû au fait que de nombreux évènements ne sont pas observés et que les éboulements ne sont pas répertoriés aussi systématiquement que les autres risques naturels. L’analyse des inventaires historiques révèle que de nombreux évènements se produisent en été, lors de périodes ensoleillés et aux heures les plus chaudes de la journée. Ainsi, au même titre que les précipitations ou les cycles gel-dégel, on peut penser que les effets thermiques (température/ensoleillement) sont impliqués dans le déclenchement des éboulements.
Afin de surmonter les limites associées aux inventaires historiques et étudier l’impact des effets thermiques sur le comportement de la roche, une approche innovante combinant différentes techniques de mesures instrumentales et in-situ a été développée au cours de ce travail de doctorat. Son objectif principal est de quantifier l’activité pluri-décennale des éboulements et de caractériser la déformation rocheuse induite par les effets thermiques. Pour l’atteindre, plusieurs parois granitiques ont été investiguées dans le massif du Mont-Blanc (France) et dans la vallée du Yosemite (U.S.A.) à l’aide du scanner laser terrestre, de la photogrammétrie et de l’imagerie thermique infrarouge.
La première partie de cette étude présente un inventaire unique de plus de 500 chutes de blocs détectées entre 1976 et 2017. Les 11 années de surveillance réalisées dans le massif du Mont-Blanc ont permis de caractériser très précisément l’activité érosive d’une paroi rocheuse affectée par un éboulement majeur de près de 300’000 m³ en juin 2005.
La reconstruction 3-D d’anciennes topographies à l’aide d’images d’archive a permis de « remonter dans le temps » et de quantifier 40 années d’activité de chutes de blocs dans deux falaises de la vallée du Yosemite. Cette recherche nous a donné la possibilité de relier plus précisément les activités passées et récentes des chutes de blocs, de détecter les cicatrices d’éboulements encore actives et de déterminer les zones de faiblesse des falaises étudiées. Un système d’érosion impliquant des volumes de plus en plus importants et une progression de l’instabilité vers le haut a notamment été identifié à deux reprises. Ces résultats fournissent de nouvelles connaissances sur les fréquences de chutes de blocs et les taux d’érosion qui façonnent les parois rocheuses granitiques de moyenne et haute altitudes.
La deuxième partie de cette thèse est consacrée à la caractérisation thermique des écailles rocheuses partiellement détachées. Intégralement réalisé au Yosemite, ce travail a permis d’imager 24 heures de dilatation rocheuse induite par les effets thermiques. Ainsi, pour la première fois, des images 3-D de déformations millimétriques ont pu être comparées aux images 2-D des températures de surface du rocher. Nos analyses montrent que la portion de l’écaille qui se déforme le plus correspond non seulement avec la zone où l’ouverture de la fracture est la plus grande, mais également avec celle où les variations de température du rocher sont les plus importantes. De plus, les images thermiques révèlent que les écailles partiellement détachées présentent des températures nocturnes plus froides que la roche environnante non fracturée. Cette découverte inédite, indépendante de la dimension des écailles, apporte une nouvelle méthode de détection à distance des compartiments partiellement détachées, et donc, potentiellement instables.
La recherche menée dans le cadre de cette thèse de doctorat démontre que la reconstruction topographique, dérivée de l’imagerie d’archives, permet de réévaluer le volume des grands éboulements survenus au XXe siècle. Combinée à une surveillance actuelle, cette approche permet de corriger et de compléter les inventaires historiques, et de déterminer des fréquences de chutes de blocs plus représentatives. La détection à distance des écailles rocheuses partiellement détachées par imagerie thermique représente une avancée significative; elle ouvre de nouvelles perspectives pour améliorer les analyses de susceptibilité aux éboulements et les études de risque dans les territoires montagneux.