Le géographe et professeur à l’Institut de géographie et durabilité, Jean Ruegg, recourt à une méthodologie originale, le « détective géo-légal », pour identifier les enjeux gravitant autour de la volonté de rendre (au) public l’accès aux rives du Léman ; il fait le tour de la question dans un article récent « Analyse de l’accès public aux rives du Léman (Suisse) par une enquête « géo-légale » », paru dans les Annales de Géographie (Armand Colin, 2020). L’étude pointe notamment un décalage significatif entre les intentions du législateur, la norme juridique et sa mise en œuvre.
Développer l’accès public aux rives du Léman est un intérêt public reconnu qui va souvent à l’encontre de celui des propriétaires privés. Le recours à la géographie du droit et à la figure du « détective géo-légal » permet de mener un « travail d’enquête » fondé sur l’observation de terrain, l’étude du cadastre, l’analyse des bases légales et de la jurisprudence. Cette manière de procéder permet d’identifier les éléments matériels et immatériels qui président à la définition de l’accès public aux rives. Elle révèle aussi un décalage significatif entre les intentions du législateur, la norme juridique et sa mise en œuvre. Plusieurs politiques publiques qui ne sont pas forcément articulées entre elles, de nombreux acteurs dont les pratiques sont également dictées par les contingences du quotidien et la temporalité jouent un rôle important. Une telle démarche est utile pour envisager une amélioration de l’action publique dédiée à la sécurisation de l’accès public aux rives.
Entretien avec Jean Ruegg
En quoi le « détective géo-légal » peut-il influencer les politiques publiques liées à l’accès public aux rives du Léman ? Son « travail d’enquête » permet-il des améliorations tangibles ?
L’enjeu de cet article est avant tout méthodologique. Le recours à la figure du détective et au type d’enquête qu’il mène est de nature à mieux mettre en évidence les enjeux liés à la mise en œuvre d’une action publique. En ce sens, cette démarche est de nature à permettre des améliorations tangibles en révélant des problèmes de coordination entre politiques publiques qui apparaissent notamment grâce à l’analyse de la jurisprudence.
Est-ce que le « détective géo-légal » propose une médiation favorable à l’ouverture d’un espace public face à des propriétés privées ?
C’est une possibilité. Mais ce n’est pas le seul cas de figure qui peut se présenter. Afin de protéger un biotope, par exemple, certains acteurs peuvent juger opportun de ne pas favoriser un accès public aux rives. Dans ce cas des coalitions entre acteurs sensibles à la protection de l’environnement et propriétaires privés apparaissent, dans des secteurs bien précis, et agissent contre l’objectif plus général visant à favoriser l’accès public aux rives.
Est-ce que l’accès public aux rives du Lac a une influence sur l’écologie du Léman, sous forme de corridors écologiques par exemple ?
Cette question n’a pas de réponse unique. Un diagnostic environnemental spatialisé serait un préalable avant de pouvoir se prononcer. Ensuite, une pesée des intérêts devrait avoir lieu avant de statuer sur l’accès public aux rives.
Peut-on envisager un jour un accès complet aux rives suisses du Léman ?
S’il s’agit de garantir un accès public continu le long de la rive, cela semble peu probable, voire peu souhaitable dans certains cas. Mais cela ne doit pas empêcher de concevoir des cheminements pédestres le long du lac. De même, et plus généralement, cela ne doit pas empêcher que l’accès public aux rives soit rendu effectif partout où l’application des lois existantes le rend possible. Et là, en tout cas pour la partie vaudoise des rives du Léman, il y a encore de jolis progrès à réaliser, aussi avec l’appui des Associations citoyennes qui militent en faveur de l’accès public aux rives.
Auteur : CellComDec / Nicolas Bourquin