Le professeur Stuart Lane et plusieurs de ses collègues internationaux ont analysé les délais d’intervention en cas de fortes précipitations en Angleterre. Cartes et modélisations à l’appui, ils montrent que l’arrivée rapide des ambulances et des pompiers n’est plus assurée partout, et cela même lors de petites crues. Ce travail, qui devrait permettre de repenser l’organisation des services d’urgence anglais, nous invite aussi à réfléchir à la situation en Suisse.
Votre travail s’applique-t-il à d’autres contextes de crise ? En Suisse par exemple ?
Ce type d’analyse interdisciplinaire peut s’adapter à toute situation d’urgence. Pour le mener à bien, il faut avant tout des données précises : cartographie et localisation des bâtiments clés et des populations vulnérables. La Suisse est très bien dotée sur ce point. Et la Confédération mène une politique ouverte de partage des données sur la société et l’environnement.
Quelles leçons tirer de cette étude ?
La centralisation des soins hospitaliers permet certes d’augmenter leur qualité, mais elle pose du même coup un problème d’accessibilité, en particulier lorsque les routes sont coupées par des crues ou des engorgements. Ce problème est toutefois moins aigu en Suisse. Du fait du relief, les services d’urgences misent beaucoup sur les hélicoptères, susceptibles d’intervenir en cas de difficultés d’accès.
La Suisse vous parait donc prête à faire face à des crises ?
Dans nos pays, il est difficile d’imaginer que les soins nous soient inaccessibles. C’est d’ailleurs ce qui m’a frappé lors de la récente crise sanitaire du COVID-19 : à quel point il était choquant d’imaginer que le CHUV puisse être surchargé ! Même si ces crises sont peu fréquentes, la modélisation, telle celle que nous avons menée, permet d’identifier les limites de nos systèmes de protection. La Suisse dispose d’un atout : la population connait la réalité des risques naturels. Je le constate avec mes étudiants, qui sont particulièrement motivés pour travailler sur ce type de sujets. Ils ont conscience de l’existence de ces risques, en raison des avalanches et glissements de terrain.
Quel regard portez-vous sur le rôle des scientifiques dans la gestion des crises ?
Avant mon arrivée en Suisse, je me suis beaucoup engagé pour améliorer le dialogue entre science et société. Mais il m’est apparu rapidement qu’ici cette « démocratisation des pratiques scientifiques » était déjà très avancée. Je suis donc moins motivé pour m’impliquer dans cette démarche ! C’est sans doute lié au système démocratique suisse. Mes enfants apprennent les responsabilités d’un citoyen à l’école, et je ne connais pas beaucoup de pays où c’est le cas.
La gestion de la crise COVID a été d’autant plus fluide : j’ai été impressionné par la qualité des interactions de la Confédération avec les experts. La population était ainsi bien informée, nous n’avons pas été pris pour des idiots. Je suis convaincu que c’est une des raisons du bon respect global du confinement.
Stuart Lane et son groupe AlpWISE se penchent actuellement sur les impacts du changement climatique et des activités humaines sur les paysages alpins, en particulier les glaciers, l’hydrologie, la géomorphologie et les écosystèmes aquatiques. Leurs travaux s’étendent d’Europe, en Amérique du Sud, au Canada et en Nouvelle-Zélande, mais ils se concentrent principalement sur la Suisse.
Pour aller plus loin
- Les glaciers, une assurance sur l’avenir énergétique en voie de liquéfaction
- Menaces d’inondation en Suisse ?
Références bibliographiques
- Dapeng Yu, Jie Yin, Robert L. Wilby, Stuart N. Lane, Jeroen C. J. H. Aerts, Ning Lin, Min Liu, Hongyong Yuan, Jianguo Chen, Christel Prudhomme, Mingfu Guan, Avinoam Baruch, Charlie W. D. Johnson, Xi Tang, Lizhong Yu & Shiyuan Xu, Disruption of emergency response to vulnerable populations during floods
2020. Nature Sustainability, -
2006. , 20 (7) pp. 1541-1565.