Thèse soutenue par Jérémie Sanchez, le 20 décembre 2019, Institut de géographie et durabilité (IGD)
Cette thèse par articles prend le gouvernement de l’assainissement dans la ville de Mandalay comme point d’entrée pour mieux comprendre les processus de transformation à l’œuvre au Myanmar, un pays qui émerge aujourd’hui de plusieurs décennies de dictature militaire. La thèse pose la question de savoir comment l’assainissement est gouverné à Mandalay, et approche I’activité de « gouverner » au sens Foucaldien de la conduite de la conduite.
Ainsi, la thèse s’efforce de mettre en lumière les processus qui expliquent la pérennité des problèmes liés à l’assainissement dans la ville. Dans ce but, la thèse s’appuie sur l’Urban Political Ecology (UPE), une approche épistémologique en géographie urbaine qui considère ses objets comme étant des hybrides matériels et politico-économiques.
La thèse dialogue avec l’UPE de plusieurs manières. Elle soutient notamment les récentes avancées poststructuralistes du champ en matière de conceptualisation du pouvoir, et étend ses traditionnels horizons géographiques au-delà des villes situées dans des contextes libéraux et démocratiques. Dans la mesure où la thèse fut également un projet engagé sur le terrain, elle participe également aux efforts de l’UPE de contribuer à la production d’environnements urbains socialement plus équitables et écologiquement plus durables.
La thèse repose sur une méthodologie inductive et qualitative qui s’inspire de la méthode de diagnostic dite des Shit Flow Diagrams, ainsi que d’une analytique au sens de Michel Foucault. Elle s’appuie sur des données qualitatives recueillies entre 2015 et 2018 au Myanmar, dont des entretiens semi-directifs conduits auprès d’un large panel d’acteurs nationaux et internationaux, de l’observation participante et non participante, et une analyse extensive de littérature grise.
La thèse se concentre sur trois assemblages d’acteurs, d’institutions, et de processus gouvernant l’assainissement à Mandalay. Il s’agit :
- d’un projet infrastructurel de plusieurs millions de dollars financé et implémenté par des acteurs internationaux ;
- des efforts d’amélioration fournis par l’État local ;
- des pratiques quotidiennes des chefs et aînés de quartier ainsi que des organisations communautaires.
Ces trois assemblages sont explorés au travers des trois articles qui présentent les résultats empiriques de la thèse.
Le premier article analyse la débâcle du Mandalay Urban Services Improvement Project (MUSIP), lancé en 2012 par la Banque Asiatique de Développement et une firme de consulting française. En s’inspirant des travaux de James Ferguson et Tania Li, qui conceptualisent l’aide au développement comme une machine antipolitique, l’article montre comment le MUSIP a ignoré les urgences locales et proposé des solutions techniques discutables aux défis de l’assainissement à Mandalay. L’article explore ensuite comme cette machine antipolitique a mis en péril le développement urbain de la ville plus globalement avant d’être finalement remis en question par la municipalité.
Le deuxième article se base sur les travaux de James Scott sur la conduction des affaires étatiques afin d’explorer les efforts de l’État local, plus particulièrement la municipalité, destinés à améliorer l’assainissement à Mandalay. L’article soutient que les pratiques de l’État dans ce domaine révèlent l’émergence d’une forme locale de haut-modernisme autoritaire, ce qui ouvre la porte à une réflexion sur la manière dont l’État du Myanmar « voit » le progrès social et écologique urbain au lendemain des récents changements politico-économiques nationaux.
Le troisième article s’appuie sur le concept de société politique formulé par Partha Chatterjee et prend les bureaux de quartier du Département d’Administration Générale du pays comme point d’entrée pour explorer le gouvernement quotidien de l’assainissement. L’article porte une attention particulière aux pratiques politiques locales, ainsi qu’aux relations entre les bureaux de quartier, la population et l’État. Celles-ci montrent notamment que les interprétations de la « démocratie » et de « l’État de droit » sont ancrées culturellement et historiquement au Myanmar. Cela contribue à mettre en perspective les présumés changements nationaux en matière d’économie politique.
Ensemble, les trois articles mettent en lumière les processus matériels et politico-économiques qui gouvernent l’assainissement à Mandalay, et offrent un aperçu des changements urbains, politiques et socio-écologiques actuellement à l’oeuvre au Myanmar. Cela permet notamment à la thèse de reconsidérer l’argument commun que le pays traverse une phase de transition relativement linéaire, d’un régime autoritaire à un régime démocratique libéral, et que les changements récents sont associés à une amélioration des conditions sociales et écologiques.
Au contraire, la thèse argumente que certaines rationalités et pratiques gouvernementales historiquement enracinées, qui perpétuent les inégalités sociales et écologiques urbaines, sont encore largement à l’œuvre.