Thèse soutenue par Iris Schöllhorn, le 2 octobre 2019, Institut des sciences de la Terre (ISTE)
De la fin du Trias au Jurassique inférieur, deux grands évènements ont profondément bouleversés la Terre :
- la crise de la fin du Trias (201.56 Ma),
- l’événement anoxique du Toarcien (˜ 183 Ma).
La crise du Trias terminal, qui est une des cinq plus grandes extinctions de masse, a provoqué la disparition de 50-75 % des espèces, laissant ainsi de nombreuses niches écologiques à la disposition des dinosaures qui ont dès lors dominé durant le Jurassique. Elle fut causée par la mise en place d’une grande province magmatique (Central Atlantic Magmatic Province, CAMP) située sur les bordures de l’Atlantique, de l’actuel Canada au Brésil et du Portugal au Sénégal.
L’événement anoxique du Toarcien inférieur, lui, a été marqué par une forte réduction de la concentration en oxygène dans de nombreux bassins océaniques affectant ainsi la vie marine. Cet événement est également lié à un volcanisme induit par une gigantesque province magmatique (Karro-Ferrar) mais cette fois- ci située plus au Sud en Afrique du Sud et en Antarctique.
Bien que ces deux évènements aient été intensément étudiés, l’intervalle entre ces deux crises a reçu moins d’attention et est donc encore relativement méconnu. Cette période est caractérisée par la dislocation de la Pangée qui était encore un continent unique à la fin du Trias.
Sa fracturation a créé de nombreux nouveaux bassins et passages océaniques provoquant ainsi de grands changements dans les courants océaniques et dans la répartition des climats à échelle mondiale. L’Europe a alors été submergée et recouverte de mers tropicales peu profondes. En outre, le climat a également été influencé par des variations des paramètres orbitaux et par des événements volcaniques. Cependant, beaucoup de questions restent encore ouvertes :
Comment la biosphère a-t-elle récupéré après l’importante crise à la fin du Trias ?
Comment le climat a-t-il évolué lors de l’ouverture de la Pangée ?
A-t-il varié de façon homogène à travers l’Europe ?
Quelle est la répartition et l’ampleur des anoxies durant cet intervalle de temps ?
Le climat était-il influencé par des évènements volcaniques ?
Afin d’apporter des éléments de réponses à ces questions, nous avons étudié cette période entre ces deux crises. Dans ce but, nous avons effectué une vaste gamme d’analyses géochimiques, sédimentaires et palynologiques sur des échantillons de roches allant de l’Hettangien jusqu’au Pliensbachien (201.35 à 183.8 Ma) et représentant trois domaines paléogéographiques distincts en Europe (bassin de Wessex – S.O. de l’Angleterre ; bassin Alémanique S.-N. de la Suisse; bassin Lombard – S. de la Suisse).
Ces analyses nous ont permis de reconstituer un climat qui était changeant plutôt que stable. Durant le tout début du Jurassique des conditions appauvries en oxygène et une chute de la production carbonatée occasionnées par des conditions plus hydrolisantes en climat chaud et humide ont été enregistrées dans les bassins de Wessex et Lombard. Des conditions climatiques et environnementales stressantes ont donc perduré après la crise jusque dans le jurassique inférieur dans ces deux bassins.
Un autre événement a été enregistré à la limite Sinémurien-Pliensbachien. Ce dernier était caractérisé, aux alentours du bassin de Wessex, par des conditions plus sèches et probablement plus froides tandis que le bassin Lombard, au contraire, a enregistré des conditions plus hydrolisantes et probablement un climat plus chaud.
Par la suite, durant le Pliensbachien, les alentours du bassin de Wessex étaient caractérisés par des conditions globalement plus arides que l’Hettangien et le Sinémurien entrecoupées par des périodes plus humides. Cette évolution reflète des changements à long-terme impliquant soit une diminution de la pression partielle du dioxyde de carbone atmosphérique due à une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’origine volcanique soit des variations dans les courants océaniques liés à l’ouverture de la Pangée.
Des analyses en mercure ont permis de mettre en évidence de potentiels évènements volcaniques durant cette période.
Un autre aspect, améliorant la compréhension des changements paléocéanographiques, a été l’étude de sédiments très condensés et riches en phosphore dans le sud du bassin Alémanique (Jura Est). Ces observations et leur comparaison avec d’autres études laissent supposer que le Jurassique inférieur pourrait être considéré comme un précurseur ayant mené à la mise en place d’un événement de phosphatogenèse global durant le Jurassique moyen et supérieur.