Thèse soutenue par Manohiaina Finaritra Randevoson, le 22 novembre 2018, Institut des dynamiques de la surface terrestre (IDYST)
En milieu tropical, les sols sur lesquels se développe la végétation sont des sols anciens, acides et pauvres en diversité minérale car fortement altérés. De plus, dans cet environnement, la minéralisation de la Matière Organique du Sol (MOS) est un processus extrêmement rapide en raison des conditions climatiques et biologiques, rendant difficile son maintien. Pourtant, certains arbres, aidés par des bactéries et des champignons, sont capables de réduire l’acidité de ces sols et parviennent même à fabriquer du carbonate de calcium (CaCO3) ou calcaire, et à stocker du carbone (C) sur le long terme, constituant ainsi un puits de C. Ce processus particulier s’articule autour de la Voie Oxalate-Carbonate ou VOC.
Tout commence par la photosynthèse, pendant laquelle une partie du dioxyde de carbone contenu dans l’air, est transformé en oxalate par les arbres. Cette production s’accompagne de l’accumulation de calcium pour former de l’oxalate de calcium. Lorsque l’arbre perd de la biomasse (feuilles, écorces, etc), les champignons attaquent la matière organique et libèrent les cristaux d’oxalate, qui s’incorporent au sol où des bactéries, dites oxalotrophes, s’en nourrissent. Cette consommation va engendrer une augmentation du pH du milieu et la précipitation du carbonate de calcium (CaCO3). Ces sols, associés à la VOC et ses acteurs, sont appelés « écosystèmes oxalogène-oxalotrophes ».
Cette thèse, conduite à Madagascar, a pour but d´évaluer les impacts de la VOC sur les propriétés des sols forestiers ainsi que sur la dynamique de la MOS. Pour atteindre cet objectif, une exploration des forêts a été entreprise afin d’identifier un arbre-modèle d’étude dans le contexte malgache. Parmi 27 espèces d’arbres identifiées, Tamarindus indica (Fabaceae) ou tamarin, localisé dans la forêt dense et sèche de Kirindy, a été sélectionné pour être l’objet principal de l’étude. Douze pieds (12) de tamarins de grande taille ont été choisis. Les sols adjacents des tamarins et distants de 15 m ont été prélevés et analysés. Les caractéristiques physico-chimiques et les propriétés du C organique de sols sous et hors influence des tamarins ont été comparées.
Les résultats ont démontré que les tamarins arrivent à augmenter le pH des sols et à les rendre alcalins (pH=8) comparativement aux sols distants qui varient d’acide (pH= 5.8-6.5) à autour de la neutralité (pH = 6.5-7.5). Cette alcalinisation s’est accompagnée d’une augmentation de la quantité de la forme échangeable du calcium, du magnésium, et du potassium, démontrant une amélioration de la capacité du sol à retenir des ions. Du CaCO3 a également été observé dans les sols. L’ampleur de ces changements (augmentation du pH, formation du CaCO3) est visiblement très variable et son explication est attribuée au pH du sol avant la présence des tamarins. En outre, une accumulation de C organique thermorésistant a été constatée pour les sols influencés par les tamarins. Cette accumulation est probablement liée au pH plus élevé et à la présence de CaCO3 dans ces sols.
Cette recherche met en évidence l’efficacité des écosystèmes oxalogènes-oxalotrophes à tamarin pour modifier drastiquement son environnement. L’intégration de ces écosystèmes oxalogènes – oxalotrophes dans les systèmes agroforestiers constitue une perspective d’application de la VOC destinée à restaurer des sols tropicaux singulièrement altérés et pauvres.
De plus, ces arbres porteurs d’un processus permettant de transformer du C organique en C minéral pouvant être stocké à long terme, pourraient constituer une solution prometteuse dans le contexte mondial de la lutte contre le changement climatique.
Finalement, l’étude de la VOC menée dans les pays tropicaux comme Madagascar élargit la portée de la recherche sur cette thématique et pourrait bien fournir des pistes de soutien aux politiques agricoles et environnementales dans ces pays.