Thèse soutenue par Cindy Luisier, le 28 septembre 2018, Institut des sciences de la Terre (ISTE)
La formation des chaines de montagnes telles que les Alpes résulte de la collision entre deux ou plusieurs plaques tectoniques convergentes. Au moment de leur rencontre, les plaques, qui sont constituées par la lithosphère continentale ou océanique, subissent de gigantesques contraintes qui les forcent à se chevaucher l’une et l’autre en formant des structures, appelées nappes tectoniques.
La plaque enfouie en profondeur subit progressivement une augmentation des conditions de pression et de température, forçant les minéraux qui constituent les différentes roches à se métamorphoser en d’autres assemblages de minéraux, plus stables dans des conditions de haute pression et haute température. Les roches sont ensuite exhumées pour former les montagnes telles qu’on les connait et bien souvent les roches ont conservé les minéraux qui se sont formés à haute pression et température durant leur enfouissement.
Grâce à de précieux outils, appelés géothermomètre et géobaromètre, les pressions et températures subies par les roches peuvent être déduites. Puis, la profondeur d’enfouissement des roches est traditionnellement calculée en appliquant la formule de la pression lithostatique. Cette formule est basée sur le principe d’Archimède, affirmant que la pression est linéairement dépendante de la profondeur atteinte par la roche durant l’enfouissement.
Toutefois, il arrive que les profondeurs calculées sur plusieurs roches d’une même région varient tellement, qu’il est impossible d’en conclure quel est le processus géodynamique responsable de la mise en place de cette unité géologique. Cela est le cas dans le massif du Mont Rose, où des pressions allant de 1.2 à 2.7 GPa ont été déduites, ce qui correspond à une profondeur d’enfouissement entre 45 km et plus de 100 km, autrement dit, le massif du Mont Rose a été enfoui soit à des profondeurs crustales, soit à des profondeurs mantelliques.
Le but de cette thèse est de comprendre pourquoi de telles variations de pression sont enregistrées dans les roches de la nappe du Mont Rose. Pour cela, trois scénarios ont été évalués:
- la pression était homogène et la gamme de pression est un artéfact dû aux fait que les différentes études ont été faites avec des méthodes différentes ;
- la pression était homogène, mais les roches qui étaient en présence d’eau durant l’enfouissement ont bien réagi alors que les roches sèches n’ont pas réussi à réagir et certaines réactions se sont arrêtées en cours de route ;
- la pression était hétérogène parce les roches ont des propriétés mécaniques variables et cela a conduit à une distribution des contraintes hétérogènes.
Pour cela, une zone spécifique de la nappe du Mont Rose a été étudiée, dans le haut val d’Ayas, en Italie. A cet endroit, la plus grande différence de pression a été répertoriée à l’échelle de l’affleurement, entre des métagranites et des schistes blancs. L’approche choisie combine des observations de terrain, de pétrographie, de la géochimie sur roche totale et in situ ainsi qu’une analyse mécanique. Une grande partie du travail est également dédiée au développement de matériel de référence pour la mesure des isotopes de l’oxygène et l’H20 dans les micas par spectrométrie de masse à ions secondaires (SIMS).
Les résultats des analyses pétrologiques et géochimiques ont permis de montrer que les pressions maximales subies par la nappe du Mont Rose sont effectivement différentes au moment de l’enfouissement maximal du massif. En outre, nos résultats confirment une différence de 8 kilobars entre les métagranites et les schistes blancs au moment du pic de métamorphisme. De plus, les modèles mécaniques ont permis de démontrer qu’une déviation de la pression lithostatique significative peut être produite quand des roches de différentes compétences sont en contact, due au développement de contraintes hétérogènes.
Les résultats de cette thèse documentent la première preuve de terrain à l’échelle de l’affleurement, démontrant que les pressions maximales obtenues par l’étude des assemblages de minéraux ne reflètent pas forcément la profondeur à laquelle les roches ont été enfouies et cela remet fortement en question le paradigme de la pression lithostatique. Cela implique que le massif du Mont Rose n’a pas été subduit à des profondeurs mantelliques et ainsi, un modèle géodynamique plus simple de prisme orogénique suffit à expliquer la formation de cette nappe. En outre, ces implications pourraient être étendues à d’autres nappes Alpines et également à des systèmes orogéniques similaires aux Alpes, où des pressions variables ont été répertoriées.