Un réchauffement climatique sur une relativement courte période dans le passé nous livre des informations plutôt inquiétantes en termes d’événements catastrophiques (de type crues) et révèle d’importantes altérations intervenues dans les paysages. C’est en effet ce qui ressort d’une étude publiée le 6 septembre 2018 par des chercheurs des universités de Genève, de l’UNIL, ainsi que d’Utrecht, de Western Washington et d’Austin et qui porte sur l’étude de l’impact dans une zone des Pyrénées, d’un réchauffement climatique vieux de 56 millions d’années. La confrontation des résultats de cette étude parue dans les Scientific Reports avec les modèles appliqués à la phase actuelle de réchauffement de notre planète pourrait bien démontrer la nécessité de réviser ces derniers qui seraient trop optimistes quant à l’ampleur des bouleversements attendus.
Le projet mené par le Prof. Sébastien Castelltort, du Département des sciences de la Terre de la Faculté des sciences de l’UNIGE, baptisé Earth Surface Signaling System et soutenu par le Fonds Nntional suisse (FNS) s’est notamment appuyé sur l’analyse de sédiments sur le versant sud des Pyrénées ; les chercheurs, parmi lesquels le Dr Thierry Adatte, de l’Institut des sciences de la Terre, ont mesuré l’impact de ce réchauffement sur les crues des rivières et sur la morphologie des paysages dans lesquels elles s’inscrivaient : ils ont ainsi identifié des crues d’une amplitude multipliée par un facteur huit – voire même 14 –, et des disparitions du couvert végétal au profit d’un paysage très minéral.
Durant cette phase il y a 56 millions d’années, la Terre a connu un réchauffement climatique exceptionnel. En un temps très court à l’échelle géologique, 10 à 20’000 ans à peine, la température moyenne a en effet augmenté de 5 à 8 degrés, ne retrouvant son niveau d’origine que quelques centaines de milliers d’années plus tard.
Dès les années 70, les scientifiques ont observé, dans cette phase entre le Paléocène et l’Éocène connue sous l’acronyme anglais de PETM (Palaeocene-Eocene Thermal Maximum), une anomalie isotopique qui traduit un bouleversement du cycle du carbone, dans les océans et sur les continents, associé à un réchauffement global aux conséquences spectaculaires : il y avait ainsi des palmiers au pôle Nord et certaines espèces de plancton marin restreintes aux eaux tropicales, se sont soudainement répandues sur toute la surface du globe.
Cette étude s’intéresse plus spécifiquement à l’impact local de ce réchauffement sur un certain type de paysage et de système hydrologique, étudiés en tant que système. On trouve dans les Pyrénées espagnoles des sédiments qui permettent d’observer les anciens chenaux de rivières et d’en connaître la largeur. La taille des galets qu’elles charriaient a fait l’objet de plusieurs milliers de mesures effectuées sur le terrain ; grâce à la relation directe existant entre la taille des galets et la pente des rivières, les chercheurs ont ainsi pu en reconstituer la profondeur et le débit, proposant ainsi une lecture de l’histoire de ces rivières et des changements spectaculaires qui les ont affectées.
Une transformation complète du paysage
C’est dans ce contexte historique du PETM que les rivières changent constamment de cours, ne s’adaptent plus à la hausse du débit en creusant leur lit mais s’élargissent, parfois de façon spectaculaire: les différents cours d’eau observés passent ainsi parfois de 15 mètres à 160 mètres de largeur. Au lieu d’être piégées dans les plaines d’inondation, les alluvions sont emportés vers l’océan, et avec elles la végétation, créant de grandes étendues de graviers traversées par des rivières torrentielles et modifiant ainsi la morphologie du paysage. C’est à ce niveau que le Dr Adatte de l’ISTE a participé au travail de terrain et contribué à déterminer la position du PETM à l’aide des isotopes stables mesurés sur des nodules de carbonates prélevés dans les paléosols caractérisant le passage PETM (avec son ancien doctorant H. Khoziem).
Des risques bien plus importants qu’attendus
Les scientifiques ignorent encore comment le régime des précipitations a pu évoluer ; ils ont constaté pour cette période ancienne des crues plus intenses avec une plus forte saisonnalité, en particulier des étés plus chauds. L’évaporation plus importante a entraîné une hausse des précipitations dans une proportion inattendue.
Un degré d’élévation de la température implique une hausse de 7% de la capacité de rétention de l’humidité dans l’air, et c’est ce rapport qui est généralement utilisé pour évaluer l’augmentation des précipitations.
Il reste à évaluer l’influence de facteurs locaux pour certains de ces résultats ; ces derniers interpellent néanmoins les projections des modèles actuels qui pourraient être sous-évalués d’après les initiateurs de l’étude.
Référence bibliographique
- Chen Chen, Laure Guerit, Brady Z. Foreman, Hima J. Hassenruck-Gudipati, Thierry Adatte, Louis Honegger, Marc Perret, Appy Sluijs & Sébastien Castelltort, Estimating regional flood discharge during Palaeocene-Eocene global warming, Scientific Reports volume 8, Article number: 13391 (2018)