La « découverte » d’un important séisme en Himalaya au 18e siècle, ou quand la mémoire historique vient à la rescousse de la géophysique.
Le prof. György Hetényi, rattaché à l’Institut des sciences de la Terre, et cinq autres coauteurs viennent de publier dans le Geophysical Research Letters une stimulante étude intitulée « Joint approach combining damage and paleoseismology observations constrains the 1714 AD Bhutan earthquake at magnitude 8±0.5 » qui lève enfin les doutes sur l’existence d’une fameuse « lacune sismique » au nord-est de l’Inde et au Bhoutan.
La chaîne de l’Himalaya est la zone de collision continentale la plus active sur Terre. En conséquence, des séismes dévastateurs ont lieu régulièrement, causant des victimes en grand nombre et des dégâts matériels importants. Aujourd’hui plusieurs centaines de millions de personnes vivent dans la région de l’Himalaya, sous la menace d’un futur séisme. Sur les 500 dernières années, de tels grands séismes ont eu lieu partout le long de la chaîne, à l’exception d’un segment au niveau du Bhoutan et une partie du nord-est de l’Inde. Pour cette région, on évoque jusqu’ici une lacune sismique, dont on avait déduit plusieurs scenarios : soit il ne se produirait jamais de grand séisme (les plaques glissant l’une sur l’autre de manière fluide) ; soit l’arrivée d’un séisme hors-norme serait imminente ; soit enfin, la relâche des contraintes et ses effets catastrophiques se manifesteraient plutôt au sud de la chaîne, au Plateau de Shillong, comme lors du grand séisme de 1897.
Or les connaissances des séismes se basent sur des mesures engagées depuis à peine plus d’un siècle. Pour des séismes plus anciens, les chercheurs essayent de trouver des évidences géologiques, comme des escarpements de faille (mais qui peuvent être déjà recouverts par des sédiments), ainsi que des documents historiques, comme des récits ou des mémoires des moines ou des cours royales. Au Népal c’est ce type d’informations qui a permis d’identifier les grands séismes de 1255 et de 1505 de notre ère.
Qu’en est-il au Bhoutan ? Les témoignages rapportent que les archives ont pour la plupart brûlé dans des incendies, suite notamment au séisme de 1897 au Plateau de Shillong. Un seul document fait état d’un séisme intervenu autour de 1713, en un lieu non identifié et de l’expérience d’un enfant de 4 ans, qui y a survécu.
C’est dans ce contexte que ce chercheur de Lausanne et ses collègues ont pu faire une découverte d’importance pour la compréhension du comportement de la chaîne himalayenne. Des tranchées géologiques à travers l’escarpement le plus important, au pied de l’Himalaya, ont d’abord permis de documenter deux grands séismes : l’un au 11e-12e siècle, et un deuxième autour du 18e siècle. Ils ont ensuite eu la chance de tomber sur plusieurs documents historiques : l’un d’eux rédigé par un architecte d’un grand monastère relate que la bâtisse s’est complètement effondrée, sa construction à peine achevée, lors d’un grand séisme intervenu « le 20e jour du 3e mois de l’an du Cheval de Bois ».
Cette date du calendrier bhoutanais correspond dans notre calendrier au 4 mai 1714. Il y est aussi mentionné qu’il y a eu des répliques durant un mois, et que les gens, terrorisés, dormaient sous tentes. D’autres archives indiennes révèlent des dégâts sur des temples dans trois autres villes, 400 km plus à l’est, survenus le printemps de la même année et donc sans doute dus au même séisme. Finalement, les chercheurs ont pu retrouver la trace de l’enfant survivant du premier document qui est en effet devenu un moine important, et l’on a pu, grâce à sa biographie, identifier la région de son enfance et donc établir le lien avec le séisme en question. Les scientifiques ont ainsi collecté, grâce à ces différentes sources et témoignages, deux informations géologiques de rupture de surface, et cinq rapports de dégâts.
Il restait à faire des calculs simples à partir des scénarios susceptibles de corréler toutes ces données. Où pouvaient intervenir des séismes ? Quelle pouvait être leur magnitude compte tenu des dégâts observés, et pour rompre la surface aux endroits identifiés ? Grâce à des relations empiriques calibrées sur des séismes récents, les chercheurs ont pratiqué des simulations qui situent le séisme au centre-ouest du Bhoutan, avec une magnitude située entre 7.5 et 8.5.
En comparant l’événement de 1714 avec le séisme de Gorkha au Népal en 2015 (magnitude 7.8) et avec le plus puissant séisme intervenu en Himalaya au 20e siècle (1950, magnitude 8.6), il ressort clairement de leur étude qu’il y a eu en 1714 un séisme majeur. En outre, ce séisme vient combler la fameuse lacune sismique, qui s’avère désormais avoir été une lacune d’information. Ce qui permet à ce groupe de chercheurs d’arriver à l’importante conclusion que tout l’Himalaya est susceptible de produire des grands séismes ; une simple question d’échelle de temps…
Référence bibliographique
- György Hetényi, Romain Le Roux-Mallouf, Théo Berthet, Rodolphe Cattin, Carlo Cauzzi, Karma Phuntsho, Remo Grolimund, Joint approach combining damage and paleoseismology observations constrains the 1714 A.D. Bhutan earthquake at magnitude 8±0.5, Geophysical Research Letters 27 October 2016,