Ethnographie des « Acuerdos Recíprocos pour el Agua », en Bolivie orientale, au prisme des notions de réciprocité et de reconnaissance
Thèse soutenue par Florence Bétrisey, le 23 septembre 2016, Institut de géographie et durabilité (IGD)
7,3 milliards de dollars ont, selon l’ONG Forest Trends (Bennett & Caroll, 2014), transité en 2013 au sein de mécanismes de paiements pour services hydriques (PSH) au niveau mondial. Les PSH constituent donc un objet d’étude incontournable, notamment lorsqu’on s’intéresse à la gestion de l’eau en zone rurale. La mise en place de PSH se fait sur l’hypothèse, hydrologiquement fondée, que la conservation de forêts en amont de bassins versants engendre une amélioration quantitative et qualitative de l’eau à disposition en aval.
Cette amélioration est vue comme un service rendu par la forêt (et par analogie par les acteurs des zones amont qui la conservent) à ceux qui font, en aval, usage de l’eau. Dans le cadre des PSH, ces services préalablement quantifiés et économiquement valorisés font l’objet de transactions économiques contractualisées. Les promoteurs des PSH espèrent qu’ils contribuent à une amélioration éco-efficiente de la gestion de l’eau.
Notre thèse porte sur un schéma de PSH appelé « Acuerdos Recíprocos por el Agua » (ARA), développé dans la zone orientale de la Bolivie, à l’initiative d’une ONG régionale, la fondation Natura Bolivia, dans un contexte national, régional et local en mutation. Nous nous intéressons particulièrement :
- à leurs fonctionnements et aux logiques économiques qui les sous-tendent,
- ainsi qu’à leurs implications en matière de justice sociale et environnementale, du point de vue des populations locales « prestataires de services ».
Nous montrons d’abord que les ARA dépassent le cadre « marchand » et « néolibéral » de leur conception et intègrent des logiques organisationnelles « populaires » réciprocitaires et redistributives en un processus de « bricolage institutionnel » (Cleaver, 2012), les acteurs locaux ajustant l’objet global PSH au contexte local. Nous attestons également du fait que ces mêmes acteurs justifient leur décision de participer aux ARA en faisant référence à des registres qui dépassent l’évaluation utilitariste et intègrent une dimension émotionnelle et de reconnaissance.
Ce processus de bricolage n’est toutefois pas indépendant des structures de pouvoir locales et des hiérarchies entre acteurs. Nous établissons que les ARA oscillent entre (1) un potentiel de transformation de structures de pouvoir et (2) un potentiel de renforcement de ces structures. Le premier passe par la création de canaux alternatifs de reconnaissance des individus préalablement exclus des schèmes de reconnaissance dominants, et contribuant, en cela, à plus de justice sociale. Tandis que le second consiste en la création de canaux de reconnaissance précaires ou basés sur des structures de pouvoir (nouvelles ou préexistantes) fortement excluantes, reproduisant ainsi des situations d’injustice, ou créant de nouvelles situations d’aliénation.
Notre thèse montre la complexité du fonctionnement de ces initiatives sur le terrain, ainsi que les risques et potentiels qu’elles impliquent en matière de justice sociale et environnementale. Nous insistons donc sur la nécessité d’études empiriques sur les PSH dépassant les revendications idéologiques et donnant la parole aux acteurs parties prenantes, tout en se ménageant la possibilité d’en faire la critique. Il s’agit là, selon nous, d’un préalable à la conception d’initiatives écologiques réellement susceptibles d’accroître les conditions de justice sociale des populations concernées.