Thèse soutenue le 17 avril 2014 par Frédéric-Paul Piguet, Institut des dynamiques de la surface terrestre
Les différentes écoles de justice distributive allouent des droits d’émission pour des gaz menaçant de nombreux écosystèmes et leurs habitants. Les communautés politiques générant des montants considérables de gaz à effet de serre se voient ainsi légitimées dès qu’elles les diminuent progressivement jusqu’à atteindre des niveaux ‘tolérables’, dans quatre ou huit décennies … Pendant cette période, leurs flux vont participer à la hausse de la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone et créer un tort à de nombreuses victimes, voire un basculement climatique catastrophique. La situation est plus délicate qu’attendu du fait de la croissance de l’incertitude et des risques.
Cette réponse des écoles de justice distributive compose un récit dont la signification est contradictoire pour les émetteurs et pour les victimes à venir puisque les droits d’émission participent à un risque dont nous montrerons qu’il est inacceptable. Dans le champ de la justice distributive, c’est une absurdité d’accorder le droit de contribuer à un risque inacceptable au préjudice de nombreuses personnes. Les écoles de justice distributive formulent ainsi, en termes de philosophie morale, une narration inadéquate et imprécise du défi humain. Elles ne rendent pas compte des enjeux véritables dans la formulation morale de la question malgré une bonne compréhension du dossier climatique sous l’angle scientifique.
En revanche, le principe d’interdiction de nuire à autrui expose la question climatique dans des termes satisfaisants. Il précise que les niveaux d’émission sont encore trop élevés et qu’au dessus d’un certain seuil aucun droit d’émission ne se justifie. L’objectif n’est pas de les interrompre sans délais car c’est impossible, mais ce principe éclaire la situation réelle de l’humanité au sein de son enveloppe de vie, la biosphère. Du fait de l’incertitude, la situation est partiellement hors de contrôle ce qui permet d’interpréter l’interdiction de façon flexible et pertinente. Seul un récit scrupuleux permet aux individus et aux communautés politiques de situer leurs actions les uns vis-à-vis des autres en tenant compte du bien commun.
La perspective est aristotélicierme. L’interdiction de nuire à autrui articule la justice distributive et la justice corrective. Il convient de distinguer le partage des droits sur des avantages économiques auquel se voue la justice distributive entendue comme espèce d’une part, de la définition des valeurs et du bien conmmn assurée par la justice générale, elle aussi distributive -sur un plan supérieur -d’autre part. C’est donc l’espèce justice distributive allouant des droits d’émission qui fait l’objet de notre critique. Nous interprétons l’interdiction de nuire dans la perspective du bien commun.