Dans un contexte de nouvelles technologies et de changement climatique, la société est exposée à des risques physiques, écologiques, économiques et politiques que le domaine de l’analyse du risque propose de gérer et d’anticiper. Stuart Lane est professeur ordinaire en géomorphologie à l’Institut de géographie et durabilité de la FGSE depuis février 2011.
Au cours du siècle passé, des événements marquants tels que les accidents de l’usine de pesticides Union Carbide à Bhopal, Inde, de l’usine Three Mile Island et de Tchernobyl ont poussé la recherche du risque au centre des agendas politiques contemporains. Les chercheurs experts dans ce domaine sont souvent sollicités dans des contextes « post-catastrophe » pour aider aux efforts de reconstruction et d’analyse des défaillances institutionnelles. On peut considérer que les catastrophes, qui sont le résultat de facteurs de risques combinés, permettent aux chercheurs de renforcer l’appareillage théorique et pratique de prévention et de gestion. Peut-on cependant mesurer les conséquences des pires catastrophes et par là-même éviter leur occurrence ?
Stuart Lane rappelle que leur gestion peut être améliorée, à défaut de pouvoir les éviter. Pour exemple, des événements tels que le tremblement de terre et le tsunami de T?hoku en 2011 au Japon et la crise de la centrale nucléaire de Fukushima démontrent l’importance d’anticiper les nouvelles menaces contemporaines, multifactorielles. A Fukushima, l’aspect pluriel de la catastrophe met en évidence à la fois des chaînes de causalité complexes mais aussi les impacts dits « en isolation » et « en combinaison ». On entend par là les impacts directs sur la santé et les impacts indirects sur l’environnement, leur durée, l’économie, etc. Par ailleurs, le risque et la vulnérabilité sont aujourd’hui mondialisés avec des chaines de causalité et des impacts qui ne respectent pas les frontières politiques, économique ou sociales. En Suisse, par exemple, Fukushima a suscité un véritable questionnement sur la viabilité d’une politique énergétique basée sur le nucléaire. Cependant, la sortie du nucléaire serait à même de générer une série de nouveaux risques, eux-mêmes multifactoriels. Par exemple, si l’énergie nucléaire était remplacée par plus de combustibles fossiles, cela provoquerait des risques pour le climat mais aussi pour la société, si ces combustibles venaient de pays ou leur approvisionnement n’est pas fiable.
Il est donc nécessaire de repenser le modèle de boîte à outils que les chercheurs utilisent habituellement dans le domaine des risques et de créer des outils plus larges et plus souples. C’est là la contribution majeure du livre Critical Risk Research. Il plaide en faveur d’une analyse engagée de la recherche sur les risques et d’un ensemble de pratiques de recherche qui considèrent les intérêts et les agendas implicites dans les approches contemporaines comme un objet de réflexion critique. Le livre évalue la pertinence de la recherche dans le domaine des risques, et comment – et avec quels effets – la recherche sur les risques est pratiquée, articulée et exploitée. Ce livre remet en question la façon dont sont abordés et présentés les problèmes liés aux risques. Il incite à repenser la façon d’aborder les risques en tenant compte des moyens complexes et imprévisibles au travers lesquels ils se manifestent.
À titre d’exemple, dans le chapitre Ethical Risk Management, Stuart Lane remet en question la division traditionnelle entre les experts qui sont censés être capables de cartographier et de prévoir les risques et les personnes qui vivent avec le risque. Traditionnellement, ce risque est géré au travers de la communication, par ceux qui sont réputés avoir l’expertise. Les experts sont souvent déconcertés devant l’inaction face à leurs estimations des risques. Stuart Lane soutient cependant que cette inaction n’est pas surprenante. Elle reflète plutôt un biais dû à une incompréhension : ceux qui vivent avec le risque peuvent en avoir à la fois une compréhension très développée mais aussi des stratégies soigneusement adaptées pour s’y adapter. Les échanges entre les experts et les personnes qui vivent directement avec un risque devraient générer des solutions plus durables et efficaces. Le géographe confirme par ailleurs ce propos par son expérience de la gestion des risques d’inondation.
Référence bibliographique
Stuart Lane, Matthew Kearnes, Francisco Klauser, Critical Risk Research: Practices, Politics and Ethics 2012, Wiley-Blackwell, 256 p.