Thèse soutenue par Robert Bodner le 19 avril 2013, Institut des sciences de la Terre (ISTE)
Les auréoles de contact offrent un cadre géologique privilégié pour l’étude des mécanismes de réactions métamorphiques associés à la mise en place de magmas dans la croûte terrestre. Par ses conditions d’affleurements excellentes, l’intrusion de Torres del Paine représente un site exceptionnel pour améliorer nos connaissances sur ces processus. La formation de cette intrusion composée de trois injections granitiques principales et de quatre injections mafiques de volume inférieur couvre une période allant de 12.50 à 12.43 Ma.
Le plus vieux granite forme la partie sommitale de l’intrusion alors que l’injection la plus jeune se trouve à la base du complexe grani- tique. Les granites recouvrent la partie mafique du laccolite. L’intrusion du Torres del Paine s’est mise en place à 2-3 km de profondeur dans un encaissant métamorphique. Celui-ci est caractérisé par un métamorphisme régional de faciès anchizonal à schiste vert et est composé des pélites, des grès, et des conglomérats des formations du Cerro Toro et du Punta Barrosa. La mise en place des différentes injections granitiques a généré une auréole de contact de 150-400 m d’épaisseur autour de l’intrusion.
Cette thèse se concentre sur la cinétique de réaction associée à la formation de la cordiérite dans les auréoles de contact en utilisant des méthodes quantitatives d’analyse de texture. On observe plusieurs générations de cordiérite dans l’auréole de contact. La première cordiérite est formée par la décomposition de la chlorite (zone I, environ 480?C, 750 bar), alors qu’une seconde génération de cordiérite est associée à la décomposition de la muscovite, laquelle est accompagnée par une diminution modale de la teneur en biotite et l’apparition de feldspath potassique (zone II, 540-550?C, 750 bar).
La taille des cristaux des cordiérites arrondies a été déterminée en utilisant des images digi- talisées de lames minces et en marquant individuellement chaque cristal. Les images sont ensuite traitées automatiquement à l’aide du programme Matlab. Les échantillons de la zone I se trou- vant en dessous du lacolite sont caractérisés par des relativement grands cristaux (0.09 mm). Les cristaux de cordiérite de la zone II sont plus petits, avec un rayon maximal de 0.057 mm. Les roches de la zone II présentent aussi un plus grand nombre de petits cristaux de cordiérite que les roches de la zone I. Une combinaison de ces analyses quantitatives et d’un modèle numérique de nucléation et de croissance a été utilisée pour déduire les paramètres de nucléation et de croissance contrôlant les différentes textures minérales observées.
Pour développer le modèle de nucléation et de croissance, il est nécessaire de connaître le chemin température – temps des échantillons. L’histoire thermique est complexe parce que l’in- trusion est produite par plusieurs injections successives. En effet, le mécanisme d’emplacement et la durée de chaque injection peuvent influencer la structure thermique dans l’auréole. Une sub- division des injections en plus petits incréments, appelés pulses, permet de concentrer la chaleur dans les bords de l’intrusion. Une mise en place préférentielle de ces pulses sur un côté de l’intrusion modifie l’apport thermique et influence la taille de l’auréole de contact produite, auréole qui devient alors asymétrique. Dans le cas de la première injection de granite, une modélisation détaillée montre que l’épaisseur relative de l’auréole de contact de Torres del Paine au-dessus et en dessous de l’intrusion (150 et 400 m) est mieux expliquée par un emplacement rapide du granite. Néanmoins, les températures calculées dans l’auréole de contact sont trop basses pour que les modèles thermiques soient cohérants par rapport à la taille de cette auréole.
Ainsi, un autre mécanisme exothermique est nécessaire pour permettre à la roche encaissante de produire les assemblages observés. L’observation des roches encaissantes entourant les granites montre que les minéraux clastiques dans les sédiments immatures au-dehors de l’auréole sont hydratés suite à la petite quantité de fluide expulsée durant le métamorphisme de contact et/ou la mise en place des granites. Les réactions d’hydratation peuvent permettre une augmentation de la température de 60 ?C au maximum.
Afin de déterminer la quantité et l’origine des fluides, une étude isotopique des roches de l’auréole de contact a été entreprise. Les isotopes stables de l’oxygène et de l’hydrogène mesurés sur roche totale ainsi que la concentration en chlore dans la biotite indiquent que la mise en place des granites du Torres del Paine n’induit qu’une circulation de fluide limitée. Les données des isotopes de l’oxygène sur roche totale montrent des valeurs ?18O entre 9.0 et 10.0%? au sein des cinq premiers mètres du contact. Les valeurs augmentent jusqu’à 13.0 – 15.0 %? lorsque l’on s’éloigne de l’intrusion. Les valeurs ?D sur roche totale montrent une zonation plus complexe. Les valeurs de la roche encaissante (-90 à -70%) diminuent progressivement d’environ 20%? depuis l’extérieur de l’auréole jusqu’à une distance d’environ 150 m du granite. Cette diminution est suivie par une augmentation d’environ 20%? au sein des 150 mètres les plus proches du contact (-97.0 à -78%? au contact). La diminution initiale des valeurs ?D est interprétée comme la conséquence du fractionnement de Rayleigh qui accompagne les réactions de déshydratation formant la cordiérite, alors que l’augmentation finale reflète l’infiltration de fluides riches en eau venant de l’intrusion. A partir de ces résultats, le volume de fluide issu du granite ainsi que son effet thermique a pu être estimé. Ces résultats montrent que l’augmentation de température associée à ces fluides est limitée à un maximum de 30 ?C. La contribution de ces fluides dans le bilan thermique est donc faible.
Ces différents résultats nous ont permis de créer un modèle thermique associé à la formation de l’auréole de contact qui intègre la mise en place rapide du granite et les réactions d’hydratation lors du métamorphisme. L’intégration de ce modèle thermique dans le modèle numérique de croissance minérale nous permet de calculer les textures des cordiérites. Cependant, ce modèle est dépendant de la vitesse de croissance et de nucléation de ces cordiérites. Nous avons obtenu ces paramètres en comparant les textures prédites par le modèle et les textures observées dans les roches de l’auréole de contact du Torres del Paine. Les paramètres cinétiques extraits du modèle optimisé indiquent une cristallisation rapide de la cordiérite avant le pic thermique dans la partie interne de l’auréole, et une réaction continue après le pic thermique dans la partie la plus externe de l’auréole. Seules de petites dépendances de température des paramètres cinétiques semblent être nécessaires pour expliquer les données obtenues sur la distribution des tailles des cristaux. Ces résultats apportent un éclairage nouveau sur la cinétique qui contrôle les réactions métamorphiques.