L’intérêt de l’Université de Lausanne pour les questions de stratigraphie ne date pas d’hier! En effet, dès le 19e siècle, plusieurs grandes figures de la géologie lausannoise ont rayonné bien au-delà de nos frontières; en particulier Eugène Renevier (1831-1906), né à Lausanne où il a effectué, durant près de cinquante ans, l’essentiel de sa carrière académique.
Professeur de géologie et de minéralogie, puis de paléontologie, il occupera également la position de Recteur de l’Université de Lausanne de 1898 à 1900; il sera aussi, plus durablement, conservateur du Musée cantonal de géologie.
Les chercheurs contemporains voient son apport essentiel dans son excellente connaissance de la géologie régionale et dans ses recherches d’établissement de la stratigraphie des Alpes vaudoises, suisses et savoyardes et finalement à une échelle globale.
Très actif dans de nombreuses commissions scientifiques, il va en effet jouer un rôle central dans le cadre des Congrès internationaux de géologie, en particulier dans les années 1880-90, où il se voit chargé de synthétiser les connaissances stratigraphiques et géologiques de son temps dans le but d’établir une échelle internationale raisonnée des temps géologiques; ce travail de grande ampleur aboutira puisque cette échelle, avalisée lors du 6e Congrès de géologie internationale, va pour ainsi dire devenir, même si elle était imparfaite, le mètre-étalon de la communauté géologique internationale en termes de géochronologie – jusqu’à sa grande révision par Arthur Holmes en 1927 (grâce à l’apport fondamental de la découverte de la radioactivité et de nouvelles méthodes de datation).
Eugène Renevier marque ainsi durablement à la fois la géologie lausannoise, qui produira à sa suite plusieurs gandes figures (dont Lugeon), et la géologie internationale qui s’accorde à lui reconnaître une forme de paternité de cette fameuse échelle des temps géologiques.
Eugène Renevier commente lui-même ainsi sa démarche dans l’extrait ci-dessous de son Chronographe géologique (6e Congrès de géologie internationale) – Tableau des terrains sédimentaires formés pendant les époques de la Phase organique du Globe terrestre. Mis au point et entièrement retravaillé sur un plan nouveau, avec application de la gamme des Couleurs conventionnelles admises par les Congrès géologiques internationaux, avec Texte Explicatif suivi d’un Répertoire stratigraphique polyglotte (1897):
“Le plus complet gâchis régnait alors dans l’emploi des termes appliqués à la hiérarchie des subdivisions. On employait pêle-mêle les termes stratigraphiques (terrain, groupe, système, étage, série, assise, etc.) et les termes chronologiques (Période, Epoque, etc.); on les subordonnait arbitrairement les uns aux autres, chaque auteur selon sa fantaisie.
Il n’y avait pas non plus de convention internationale pour l’emploi des couleurs, adaptées aux différents terrains […] les cartes géologiques d’ensemble, commencées dans divers pays, avaient adopté des légendes conventionnelles, dans lesquelles une même teinte désignait souvent des terrains fort différents […]
Dans le désir de rendre sensible à l’oeil la succession des temps géologiques, j’imprimai mes neuf tableaux sur des papiers de teintes différentes; et comme ceux-ci étaient destinés essentiellement à l’enseignement en Suisse, j’adoptai tout naturellement la convention en usage pour la grande carte géologique de la Suisse. D’autre part, je m’appliquai à établir une hiérarchie des subdivisions en deux séries correspondantes, l’une strictement chonologique (Eres, Périodes, Epoques, Ages), l’autre exclusivement stratigraphique, mais moins complète (Systèmes subdivisés en Etages). Grâce à ces notions simples et rationnelles, que j’ai défendues ensuite dans les congrès géologiques de Paris en 1878 et de Bologne en 1881, mon essai n’a pas été sans influence sur les conventions internationales adoptées dans ces deux Congrès, en vue de l’unification des termes et des couleurs géologiques, conventions sur lesquelles je puis maintenant baser ma nouvelle édition.
(ndlr: de 1897)
En 1897, Eugène Renevier concluait:
“Il semble d’ailleurs qu’on devrait mettre un frein à la démangeaison de créer de nouveaux noms, pour des terrains déjà suffisamment désignés, et s’entendre pour adopter toujours le nom le plus ancien, toutes les fois qu’il n’est pas fautif ou amphibologique.
Gardons-nous du chauvinisme en matière de nomenclature géologique, comme ailleurs aussi!
Il ajoutait modestement:
“Je serai reconnaissant à mes collègues pour tout complément ou rectification, de nom, de date, de citation ou de niveau, accompagné de documents, qui me permettent d’en contrôler la valeur.”
Qu’aurait-il pensé de l’ajout de la période de l’Anthropocène? Quels documents auraient pu le convaincre de la valeur de l’analyse ?
Bibliographie
Certains articles d’Eugène Renevier peuvent être consultés en ligne, grâce à Bibliothèque numérique patrimoniale de l’Université Pierre et Marie Curie de Jussieu (UPMC), voir ainsi notamment:
- CHRONOGRAPHE GÉOLOGIQUE Seconde édition du TABLEAU DES TERRAINS SÉDIMENTAIRES formés pendant les époques de la Phase organique du Globe terrestre Mis au point et entièrement retravaillé sur un plan nouveau, avec application de la gamme des Couleurs conventionelles admises par les Congrès géologiques internationaux, avec TEXTE EXPLICATIF suivi d’un RÉPERTOIRE STRATIGRAPHIQUE POLYGLOTTE par E. RENEVIER professeur de géologie et paléontologie à l’Université de Lausanne. 6e CONGR. GÉOL. INTERN. BIBLIOTHÈQUE MUNIER-CHALMAS lien