Claire-Lise Debluë
Devenir scénographe d’exposition : histoire culturelle du
graphisme et de la profession de graphiste à Bâle (1930-1960)
Si l’histoire des expositions a fait depuis une trentaine d’année l’objet d’une attention croissante, l’histoire de la scénographie et des métiers de l’exposition reste largement méconnue. Dès les années 1930 pourtant, les revues de graphisme, de typographie ou d’architecture célèbrent l’avènement d’un expert aux compétences aussi pointues que variées : le scénographe d’exposition. Artisan et intellectuel à la fois, ce graphiste d’un genre nouveau réputé pour sa capacité à aménager les espaces tridimensionnels – vitrines, stands de foire ou espaces muséaux –, gagne progressivement une véritable reconnaissance dans le champ du graphisme publicitaire (Gebrauchsgraphik).
En Suisse, la consécration du scénographe d’exposition intervient dans un contexte où l’ensemble de la profession se structure et s’organise. La création des premières associations professionnelles, au début des années trente, assure une meilleure représentativité des graphistes auprès des commerçants, des publicitaires et de certaines organisations collectives étatiques ou paraétatiques. Leurs organes de presse et les revues spécialisées jouent également un rôle crucial dans le développement et la reconnaissance de l’expertise du scénographe, bientôt relayée sur le plan international par certains ouvrages rédigés par des graphistes de renom (Richard Paul Lohse, Hans Neuburg ou Josef-Müller Brockmann). C’est ainsi à la construction d’un discours théorique sur la scénographie d’exposition que l’on assiste à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, avec ses figures tutélaires, ses normes, ses canaux privilégiés de diffusion et ses inévitables controverses.
Les écoles professionnelles, véritables plateformes d’échange et de circulation des savoirs, jouent enfin un rôle crucial dans l’ascension de cette figure. Sur le plan de l’enseignement du graphisme proprement dit, plusieurs changements importants interviennent en effet à cette période. Bien que la formation à l’étranger continue à jouer un rôle important, la filière de l’apprentissage se diversifie et se renforce avec l’introduction d’enseignements spécialement dédiés au graphisme au sein des écoles professionnelles. L’enseignement ne se limite pas aux disciplines traditionnellement associées au graphisme (dessin, illustration, couleurs), mais s’étend aussi à la photographie, à la typographie ou à la publicité. À la croisée des disciplines, le graphiste s’impose dans l’après-guerre comme une figure clé du monde de l’édition, de l’exposition et de la publicité.
En repartant du cas bâlois considéré sur une trentaine d’années, entre 1930 et 1960, ce projet cherchera notamment à répondre aux questions suivantes : à quelles conditions les graphistes se formèrent-ils aux métiers de l’exposition et de quelle manière négocièrent-ils leur entrée dans la profession ? Comment les acteurs traditionnels de l’exposition (architectes, décorateurs, photographes) perçurent-ils ce changement et adaptèrent-ils leurs pratiques ? En nous fondant sur les informations collectées dans la base de données <photo_expo>, nous examinerons le rôle des acteurs institutionnels (organisations commerciales, associations professionnelles, lieux de formation, musées) et privés (graphistes, publicitaires, décorateurs, commerçants), dans la professionnalisation des métiers de l’exposition. L’identification et l’analyse de ces réseaux d’acteurs structurés à diverses échelles (locale, nationale et transnationale), ainsi que l’attention portée aux pratiques de l’exposition et à leur circulation, auront ainsi pour objectif de contribuer à l’écriture d’une histoire culturelle du graphisme et de la scénographie d’exposition, qui fait jusqu’aujourd’hui largement défaut.
Fig. 1-4 : “Mehr anbauen oder hungern” (exposition itinérante du Verband Schweizer Konsumvereine), Foire nationale d’échantillons, Bâle, 1942 (détails). Graphisme : Gottfried Honegger-Lavater, photographe inconnu (Zentralarchiv Coop, Bâle)