Chercheur en littérature italienne, le Dr. Giacomo Vagni a obtenu un subside du FNS pour un projet Ambizione qui a débuté au mois de mai passé. L’occasion de découvrir son parcours et ses recherches.
Comment décririez-vous votre domaine de recherche ?
Mes intérêts portent principalement sur la littérature italienne et la culture de la Renaissance. J’ai étudié la poésie du XVIe siècle sous un angle philologique, notamment les œuvres de Baldassarre Castiglione et Pietro Bembo. En parallèle, je me suis aussi intéressé à l’écriture en prose de la fin XVIe siècle, notamment la prose philosophique de Torquato Tasso.
Pourquoi avoir choisi ce domaine ?
Pour deux raisons principales : tout d’abord, pendant mes études universitaires, j’ai fait la rencontre de professeurs qui ont éveillé mon intérêt pour ce domaine apparemment difficile d’accès. J’ai commencé un mémoire sur Bembo avec un enthousiasme relatif, puis ai découvert un monde inattendu qui m’a passionné. Une autre raison est aussi qu’il s’agit d’une partie importante de la tradition littéraire italienne. C’est entre les XVIe et XVIIIe siècles que la façon d’écrire sur un mode classique s’est stabilisée. Tout étudiant de la littérature italienne est donc forcément familier de ce type d’écriture. En même temps, il s’agit d’un monde très lointain de notre horizon de pensée. Il y a donc une dialectique très intéressante : une tradition littéraire dont nous sommes les héritiers, mais qui est en même temps très différente. Approfondir cette tradition permet de gagner un regard critique sur l’histoire et la littérature.
Quelles sont les étapes déterminantes de votre parcours ?
J’ai débuté mes études en Italie, avec un doctorat en littérature à l’Université catholique de Milan. Il s’agissait d’une édition critique et annotée de la poésie lyrique de Castiglione. Mon travail de doctorat a été publié en 2015 sous le titre Rime e Tirsi (Bologne : I Libri di Emil), avec une édition d’œuvres Castiglione et Cesare Gonzaga. Après le doctorat, j’ai dispensé un enseignement de l’italien et du latin dans des lycées à Milan. En 2013, j’ai participé à un projet du Fonds National Suisse avec le professeur U. Motta de l’université de Fribourg. Le projet portait sur la poésie de Giuliano de Medici, fils cadet de Laurent le Magnifique : une figure peu connue et étudiée du XVIe siècle, mais très intéressante. J’ai travaillé pendant trois ans sur ce projet. J’ai ensuite intégré une petite équipe qui prépare une édition annotée des dialogues de Torquato Tasso. Ce projet continue à Fribourg, et j’y interviens comme expert extérieur.
En quoi consiste le projet soutenu par le Fonds National Suisse ?
Intitulé « Poètes lyriques du Cinquecento de Crescimbeni à Croce. Le pétrarchisme comme mythe fondateur de la modernité littéraire italienne », le projet porte sur la réception de la poésie de la Renaissance à l’époque moderne. Dans mes études, j’ai pu expérimenter à de multiples reprises le cadre herméneutique moderne par lequel est approchée la littérature italienne de la Renaissance, ses particularités et ses défauts. Il s’agit d’un paradigme qui s’est formé durant les XVIIIe et XIXe siècles. J’ai voulu approfondir ces thèmes et proposer une recherche qui étudie les éditions et ouvrages critiques de la poésie lyrique de la Renaissance depuis le XVIIIesiècle jusqu’aux années 1950. Il s’agit donc d’une étude sur la longue durée, de sorte à observer l’évolution de certaines façons d’interpréter la poésie pré-moderne. En particulier, un trope qui revient souvent dans le XIXesiècle est celui du pétrarchisme comme maladie chronique de la littérature, une maladie qu’il s’agirait de guérir.
Le but principal consiste d’une part à analyser l’évolution de ce paradigme pour mieux comprendre à la fois la culture littéraire italienne des XVIIIe au XXe siècles, mais aussi celle du XVIe siècle, en prenant conscience des biais à l’œuvre dans son interprétation moderne. D’autre part, il s’agit de donner des instruments aux spécialistes de la littérature des XVIIIe au XIXe siècles. A cette fin, je collaborerai avec le professeur Simone Albonico pour alimenter la base de données en ligne « Lyra » avec une nouvelle section consacrée aux éditions de poésie lyrique du XVIesiècle produites durant les XVIIIe et XIXe siècles. Comme ces éditions sont à l’origine de nos études modernes sur ces textes, c’est un travail important qui permettra aussi le développement d’autres études.
Pourquoi avoir opté pour la Faculté des lettres de l’UNIL / Section d’italien ? Quelles collaborations pensez-vous y développer ?
J’ai fait la connaissance des collègues de la Section d’italien de l’UNIL durant mon travail à Fribourg, en raison de l’école doctorale commune aux universités de Genève, Fribourg et Lausanne. J’ai découvert des collègues qui comptent parmi les meilleurs spécialistes de la littérature italienne du XVIe au XXe siècle. Par ailleurs, la Section d’italien se distingue par son dynamisme : en plus de l’expertise interne, il y a aussi de nombreux chercheurs étrangers, ainsi qu’un intérêt pour les outils numériques (comme en témoigne la base de données Lyra). En outre, une partie importante du cadre herméneutique servant à approcher l’époque « classique » s’est construit dans un contexte marqué des théories rivales des cultures littéraires nationales – allemandes, françaises ou italiennes. Il y a donc des possibilités de collaborations avec d’autres sections de la Faculté, autour de sujet comme ceux des théories littéraires, ou de l’influence critique française, allemande ou suisse. Dans les débats sur les théories littéraires, plusieurs critiques influents étaient en effet suisses, à l’image de Sismondi, Rousseau ou Jakob Burckhardt.Enfin, je poursuivrai les contacts déjà établis avec le professeur Motta à Fribourg, avec la professeur Maria-Teresa Girardi à Milan et avec des collègues de l’Université de Vérone qui sont d’excellents connaisseurs du XVIIIe siècle.
Avez-vous déjà obtenu des résultats par rapport à la recherche menée à l’UNIL ?
J’ai pu présenter des premiers résultats lors d’un colloque organisé par le département d’italien de l’Université de Milan, sur la réception de Jacopo Sannazaro au XVIIIe siècle. Il y aura par ailleurs un colloque sur l’historiographie littéraire en Europe dans l’époque moderne au cours du projet, de sorte à élargir quelque peu l’horizon.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées sur votre parcours ?
Le plus difficile est de ne pas savoir quelles seront les conditions de mon travail dans le futur. Je me focalise surtout sur le travail lui-même, que j’aime et que j’effectue avec beaucoup de passion. Idéalement, je souhaite continuer à étudier, écrire et enseigner dans un milieu académique. J’ajoute que j’estime avoir eu de la chance avec de beaux projets du FNS en Suisse, avec des conditions que l’on rencontre rarement ailleurs en Europe.
Quelles sont les recettes pour réussir un projet Ambizione ?
Je dirais d’abord qu’il faut être très rigoureux dans l’écriture du projet. Il faut penser que dans la première étape, les experts ne sont pas nécessairement des spécialistes de mon domaine. Il faut donc que le projet soit ambitieux, clair, bien écrit, convaincant, même pour un généraliste qui n’est pas familier des spécificités du domaine. Ensuite, il faut être attentif aux aspects plus généraux en mettant l’accent sur ce que le projet peut offrir pour le monde académique et le monde culturel, par exemple la possibilité d’offrir en base de données utile à la communauté scientifique. L’entretien doit aussi être bien préparé, mais l’enseignement universitaire m’a habitué à ce type d’exercice !
Pour plus d’information
- Le projet Lyra
- La page Academia de G. Vagni