Professeur boursier FNS en Section de philosophie avec un parcours particulièrement riche, Christian Maurer dirige un projet sur la tolérance et l’intolérance religieuse, à l’interface entre l’histoire de la philosophie et la philosophie systématique.
Comment décririez-vous votre domaine de recherche ?
Mon domaine de recherche principal porte sur la philosophie morale et politique, que j’aborde par la combinaison de deux perspectives : systématique et historique. Plus particulièrement, mes travaux portent souvent sur des philosophes du XVIIe et XVIIIe siècles, et actuellement sur le concept de tolérance, vu à la fois sous les angles du principe politique et de la vertu morale.
Pourquoi avoir choisi ce domaine ?
J’ai tout d’abord un intérêt pour la philosophie moderne et ses interactions avec la théologie et d’autres sciences : l’interdisciplinarité m’a toujours attiré. Je suis particulièrement passionné par la manière dont les hommes se conçoivent comme agents moraux, convaincus qu’ils sont porteurs d’une responsabilité morale, tout en ayant conscience de leurs faiblesses. Enfin, même si mes travaux portent avant tout sur des penseurs des XVIIe et XVIIIe, nous frotter à leurs réflexions nous apprend également des choses sur notre monde contemporain.
Quelles sont les étapes déterminantes de votre parcours ?
J’ai commencé mon parcours avec des études en philosophie et allemand à Berne et un échange Erasmus à Berlin qui s’est révélé passionnant du point de vue de la découverte de cultures académiques et non-académiques différentes. Je suis également diplômé de la HEP de Berne, car j’ai toujours été intéressé par l’enseignement et la créativité que celui-ci permet. J’ai ensuite passé par différents contextes linguistiques, en écrivant une thèse en anglais tout en enseignant en français à Neuchâtel. J’ai achevé ma thèse au bénéfice d’une bourse doc.Mobility du FNS à Glasgow. Après ma thèse, j’ai passé une année extrêmement inspirante à Clermont-Ferrand, pour un projet sur l’amour en philosophie contemporaine. J’ai ensuite passé par Fribourg puis Saint Andrews et Edimbourg, où je me suis pris d’intérêt pour des figures « obscures » de l’histoire de la philosophie, entre autres pour la philosophie morale écossaise du XVIIe siècle – une terra incognita. C’est alors que j’ai obtenu un poste de professeur boursier du FNS – Lausanne est ma neuvième université.
En quoi consiste le projet soutenu par le Fonds National Suisse ?
La partie historique du projet porte principalement sur des penseurs peu connus écossais, anglais et suisses des XVIIe et XVIIIe siècles qui ont réfléchi sur la tolérance en matière de religion. La partie du projet travaillée par le post-doctorant Giovanni Gellera se concentre sur l’édition critique d’un manuscrit latin de 313 pages du philosophe écossais James Dundas (1679). La partie du projet travaillée par la doctorante Donna Delacoste traite d’un penseur suisse aujourd’hui peu connu, Jean-Alphonse Turrettini, un professeur de théologie genevois dont les travaux témoignent déjà des Lumières naissantes. Un troisième volet s’intéresse à des débats dans le contexte écossais et anglais du XVIIIe, entre autres autour de la figure d’Archibald Campbell et de sa controverse avec un « Comittee for the the Purity of Doctrine » – un comité ecclésiastique calviniste orthodoxe. La partie systématique du projet concerne les liens entre tolérance, intolérance et discrimination. C’est d’ailleurs dans ce cadre que j’ai co-organisé plusieurs journées d’études sur différents aspects de la discrimination, autant avec des philosophes qu’avec des sociologues, juristes, et spécialistes d’autres disciplines.
Pourquoi avoir opté pour la Faculté des lettres de l’UNIL / Section de philosophie ? Quelles collaborations avez-vous pu y développer ?
L’une des particularités de la Section de philosophie à Lausanne est son intérêt pour l’histoire de la philosophie – une perspective particulièrement importante pour mes travaux. Par ailleurs, j’ai trouvé une grande ouverture pour des travaux interdisciplinaires, ce qui est essentiel pour l’étude de figures comme celles de Turrettini, Campbell et Dundas. Je collabore régulièrement avec plusieurs collègues lausannois, notamment la professeure Simone Zurbuchen avec laquelle j’ai organisé différents événements déjà avant le début du projet. En 2019, j’ai co-organisé la première conférence internationale de l’Institute for the Study of Scottish Philosophy, qui jusque-là avait exclusivement développé ses activités au Princeton Theological Seminary. J’ai aussi eu l’occasion de collaborer avec d’autres sections de la Faculté, notamment la Section d’anglais – avec la professeure Kirsten Stirling nous avons invité l’auteur écossais contemporain James Robertson –, avec la Section d’histoire, en lien avec les activités tournant autour de Lumières Lausanne, et avec la Faculté de théologie et de sciences des religions, vu les intérêts de notre projet.
Avez-vous déjà obtenu des résultats par rapport à la recherche menée à l’UNIL ?
Nous avons organisé 8 colloques et journées d’études à Lausanne, ainsi qu’une série de conférences. Plusieurs projets d’éditions critiques sont bien avancés, comme celles de l’Idea philosophiae moralis de Dundas (en collaboration avec A. Broadie, Glasgow) et celle du System of Moral Philosophy de F. Hutcheson (en collaboration avec K. Haakonssen, Erfurt/St. Andrews). Nous venons aussi de publier un recueil d’articles qui provient d’un colloque tenu en 2018, sur le sujet « Tolerance and Toleration in Early Modern Scotland and England », dans la revue Global Intellectual History, avec des contributions de collègues de différentes disciplines (philosophie, histoire, théologie etc.).
Quelles difficultés avez-vous rencontrées sur votre parcours ?
Ayant passé plusieurs années à l’étranger, j’éprouve la mobilité comme énorme enrichissement. Depuis ma thèse, j’ai également donné une centaine de conférences, avec la majorité d’entre elles à l’étranger – l’échange d’idées avec des collègues de partout dans le monde reste une des sources de stimulation intellectuelle les plus importantes. A partir d’un certain moment, cependant, la conciliation d’une vie professionnelle ainsi structurée avec une vie familiale équilibrée représente un véritable défi. Par ailleurs, avec seulement 14%, la partie des postes fixes dans l’académie suisse est dramatiquement bas en comparaison internationale. Il n’est pas toujours évident d’avancer sans aucune garantie sur le long terme, et sans savoir donc si l’énergie déployée dans l’élaboration de projets limités dans le temps est bien investie ou non. Cela constitue à mon avis un des problèmes centraux pour la relève dans le système universitaire en Suisse.
Comment réussir un projet de prof. boursier / FNS Eccellenza
Je conseille une stratégie de « perturbation active des idées » : réfléchir bien à l’avance aux possibles sujets du projet et en discuter avec des gens provenant de contextes très variés. Il faut se faire critiquer, contredire et chercher à susciter le débat, dès la première phase de conception du projet. Cela finira par inspirer toute une série d’orientations dont on pourra approfondir celle qui nous paraît la meilleure, ce qui donne finalement une grande force au projet.
Pour plus d’information
Site internet du projet FNS :
Numéro spécial de la revue Global Intellectual History en ligne (2020) :
www.tandfonline.com/toc/rgih20/5/2?nav=tocList
Présentation de l’ouvrage Self-love, Egoism and the Selfish Hypothesis (2019) :