Laura Galhano

Faire tenir l’ordre moral dans le secteur de la construction : sociologie des catégorisations dans le gros œuvre

Laura Galhano, diplômée d’un Master en Socioéconomie, a commencé son doctorat à l’Université de Lausanne en tant que boursière FNS. Elle a ensuite travaillé trois ans comme chargée de recherche à l’Université de Porto, au sein d’un projet qui s’intéressait aux transformations récentes du secteur de la construction au Portugal et en Europe. Elle a soutenu sa thèse à l’Université de Lausanne, le 22 janvier 2025, sous la direction du Prof. Felix Bühlmann (Institut des sciences sociales).

Cette thèse se propose d’étudier les catégorisations morales qui font tenir l’ordre social des chantiers. Elle s’attache à comprendre comment la hiérarchisation des places de travail et la forte segmentation par statut en emploi, nationalité et par sexe, du domaine du gros œuvre dans le secteur de la construction en Suisse, se reproduisent.

En analysant les discours sur le travail des personnes liées et travaillant au sein de ce domaine, cette thèse montre que des catégories morales produisent des formes d’acceptations et de valorisations, aussi bien par les cadres que par les ouvriers. Les normes de cet univers se caractérisent par une forte précarité de l’emploi, par une exposition structurelle au chômage, par des conditions de travail difficiles et par une faible reconnaissance des qualifications, qu’elles soient formelles ou liées à l’expérience.

Cette démonstration s’articule autour de trois axes : l’injonction à l’employabilité, la construction d’appartenances communautaires, le virilisme. Premièrement, l’effet social de l’injonction à l’employabilité se retrouve dans les discours sur le statut en emploi et se traduit en trois catégories morales : le « bon travailleur », le « temporaire » et le « chômeur ». Ces catégories forment un métadiscours classificatoire sur les façons d’être au travail et vis-à-vis de l’emploi. Elles ont un effet sur les pratiques en venant justifier les classements opérés entre travailleurs dans l’espace social du travail sur les chantiers. Ainsi, pour rester en emploi, les travailleurs avec des contrats fixes éloignent toute sorte de revendications pour améliorer leur situation, qui finalement est marquée par une forte précarisation. Deuxièmement, la construction de catégories morales liées à l’appartenance communautaire contribue à la déqualification des compétences en naturalisant une forme de coopération efficiente au travail qui s’ancre et se nourrit des pratiques quotidiennes au travail et hors du travail. Troisièmement, la glorification d’une forme de virilisme a pour fonction de sublimer la souffrance au travail et l’endurance de mauvaises conditions de travail. Elle finit par servir une forte déqualification des compétences des travailleurs du domaine, tout en excluant les femmes.