La décolonisation des musées en Suisse, un défi du présent

Les 4 et 5 mai 2022, un colloque international, organisé par le Centre d’histoire internationale et d’études politiques de la mondialisation (CRHIM), s’est tenu au Palais de Rumine de Lausanne. Des chercheur·euses, des directeurs·trices de musées, des curateurs·trices et des artistes ont débattu de la question suivante : “Comment décoloniser les collections des musées helvétiques ?”

Une part importante des collections muséales suisses provient d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie ou encore d’Océanie. En effet, l’arrivée d’objets d’outre-mer date surtout de l’époque des empires. Les acquisitions ont souvent été faites de manière illicite, entre vols et pillages. De même, la conception des expositions a pendant longtemps été problématique, marquée par des stéréotypes raciaux et des approches autocentrées. Depuis quelques années, un important mouvement de décolonisation des musées s’est organisé, dans les milieux académiques, les musées eux-mêmes et la scène artistique, en Suisse et ailleurs. Il vise à responsabiliser les institutions culturelles et les autorités politiques des pays dont les musées ont un clair héritage colonial.

Plusieurs thèmes ont été abordés durant le colloque qui s’est tenu à Lausanne. Premièrement, les intervenant·e·s se sont intéressé·e·s à la recherche en provenance qui vise à établir la « biographie » et la « trajectoire » des objets. Elle est à la base du processus de restitution : les objets pillés en contexte colonial devraient être restitués aux communautés autochtones que la recherche en provenance permet d’identifier (ces mêmes communautés collaborent d’ailleurs au processus d’identification). Dans cette perspective – et ce fut le deuxième thème abordé durant la conférence – les restes humains (ou restes ancestraux) sont extrêmement importants. Les musées suisses conservent une quantité considérable de crânes et d’os qui n’ont pas raison d’être ici. Enfin, les intervenant·e·s ont débattu des dispositifs de narration et sont tombé·e·s d’accord pour dire que ces dispositifs doivent être repensés. Si l’inclusion de l’« autre » et de l’« ailleurs » est de plus en plus prise en considération par les musées (et la recherche académique plus généralement), elle n’en demeure pas moins encore marginale. Il faut intégrer cette dimension pour rendre visible l’histoire de celles et ceux qui, pendant trop longtemps, ont été victimes de violence, d’exclusion, d’anonymat ou de racisme.

Cette conférence, financée en partie par le Fonds national suisse (FNS), a été organisée par les Professeurs Bernhard C. Schär et Thomas David de l’Institut d’études politiques (IEP). Parmi les originalités de ce colloque, il convient de souligner son approche interdisciplinaire – il a fait dialoguer des chercheur·euses en sciences humaines et sociales, des directeurs·trices de musées, des curateurs·trices et des artistes – et international dans la mesure où les intervenant·e·s venaient d’Allemagne, de France, d’Italie, des Pays-Bas, de Suisse, mais aussi d’Afrique du Sud ou du Sri Lanka.

Cette conférence a été organisée sous l’égide du Centre d’histoire internationale et d’études politiques de la mondialisation (CRHIM). Ce dernier est un centre de compétences interdisciplinaires sur les thématiques des relations internationales, de la colonisation/décolonisation, des rapports Nord/Sud, ainsi que des questions de racisme et de discriminations raciales. Le CRHIM abrite également le groupe de recherche FNS Eccellenza de Bernhard C. Schär, qui étudiera au cours des cinq prochaines années l’histoire peu connue des interdépendances coloniales de la Suisse au 19e siècle. L’histoire de la création de grandes collections coloniales dans les musées suisses en fait également partie.

Les interventions ont été filmées et les enregistrement sont disponibles ici : https://youtu.be/XZmTj8rranE

Fabio Rossinelli, Bernhard C. Schär, Thomas David (CRHIM)