Identité et filiation. Enfants enlevés-appropriés, adultes restitués dans le contexte de la dernière dictature en Argentine (1976-1983)
Vania Widmer a obtenu une licence en psychologie en 2000, puis un diplôme postgrade en 2003 à l’UNIL ; elle a soutenu sa thèse en février 2014 sous la direction du Prof. P. Roman. D’abord assistante à l’IP, elle a ensuite collaboré à la coordination d’une publication pour l’Université de Fribourg. Après avoir travaillé auprès d’enfants et adolescents au service pédopsychiatrique de Neuchâtel, elle est maintenant professeure à la HEP de Fribourg. Ses activités scientifiques portent sur la construction de l’identité professionnelle.
Durant la dernière dictature argentine (1976-1983), la junte militaire organisa le vol de nourrissons, enfants de leurs ennemis, pour qu’ils puissent être élevés dans des familles proches du pouvoir. L’association « Grands-Mères de la Place de Mai » comptabilise environ 400 vols. Au moment de l’exploration du terrain de recherche, en 2004, une quarantaine d’enfants avaient été retrouvés dans des familles qui n’en connaissaient pas les origines, tandis qu’une vingtaine étaient dans des familles liées à la junte ; c’est à cette dernière catégorie que s’intéresse ce travail. Durant leur enfance ou à l’âge adulte, ces enfants apprirent un jour la vérité sur leurs origines biologiques et la justice la leur restitua ; c’est pourquoi ils sont dits « restitués ».
Cette contribution vise à interroger l’identité individuelle comme une dynamique intime qui s’articule à la filiation et s’insère dans une collectivité, une société. Trois hypothèses structurent cette recherche. La première concerne la connaissance des origines biologiques et ses conséquences psychologiques identitaires : ce savoir passe nécessairement par la justice et la société. Une deuxième hypothèse explore les éventelles conséquences traumatiques de l’enlèvement des personnes restituées, et de la restitution. Enfin, la troisième hypothèse interroge le rapport de la construction identitaire à la société, qu’elle se fasse par des investissements politiques et associatifs ou par les médias et l’Histoire. Ces hypothèses nourrissent un questionnement sur les liens entre restitution et travail de symbolisation des origines. Sept entretiens semi-structurés avec des personnes restituées ont été menés. Ils ont ensuite été analysés qualitativement dans une perspective que l’on peut référer, de manière large, à une « anthropologie clinique », au croisement d’une psychologie clinique éclairée par la psychanalyse et de l’anthropologie.
Au travers d’une analyse approfondie du parcours identitaire des personnes enlevées, adoptées et restituées, ce travail se livre à une recherche empirique sur la construction identitaire. Le concept de transmission se trouve mobilisé, et se rattache à l’inscription de l’individu dans la subjectivité d’un couple par son prénom, dans une lignée ou dans un collectif par son choix professionnel ou ses liens avec l’association « Grands-Mères de la Place Mai ». De plus, la thèse apporte une contribution à la compréhension des enjeux du clivage, des blessures primitive et narcissique, des processus d’affiliation et des secrets de famille. Parallèlement, elle permet de penser les enjeux de la « défiliation » et de l’« amalgame ». La question du traumatisme, de sa répétition et de son élaboration, ainsi que celle des facteurs de résilience sont également discutées. Ce travail ouvre finalement sur une réflexion plus large sur le concept d’identité.