Dire que les sociétés modernes sont marquées par la pluralité linguistique et culturelle relève aujourd’hui de la formule convenue. Mais si elle n’est pas nouvelle, cette pluralité n’en pose pas moins certains défis et questions, en particulier à l’école. Comment tenir compte de la diversité des élèves sans pour autant créer des différences ? Comment les traiter de manière égalitaire tout en respectant leurs différences ? Comment préparer les élèves futur-e-s citoyen-nes à vivre ensemble dans une société aux valeurs multiples ? Ces questions sous-tendent aujourd’hui les « éducations à » : éducation à la citoyenneté, éducation au développement durable ou encore éducation interculturelle.
Liée au rapport à l’altérité, l’éducation interculturelle —au cœur de ce projet– traite d’objets qui sont très proches de l’expérience et du vécu des élèves, évoquent plus ou moins directement des discours sociaux à la fois sensibles et polémiques, sollicitent maîtres et élèves dans leur identité sociale et renvoient à des valeurs morales. De plus, ces objets ont une courte histoire pédagogique et didactique. Quelles sont alors, au-delà des intentions politiques et pédagogiques, les pratiques d’enseignement mises en œuvre dans le cadre de la classe ? Quelles activités pédagogiques sont-elles proposées et à quoi visent-elles ? Quelles sont les intentions pédagogiques des enseignants ? A quels obstacles se heurtent-elles ? Quels apprentissages sont-ils en fin de compte construits par les élèves ? Telles sont les questions auxquelles ce projet cherche à répondre en puisant ses sources théoriques à la psychologie socioculturelle et dialogique de l’apprentissage.
Concrètement, le terrain d’observation porte sur douze classes de Suisse romande (six en 5ème et 6ème années du degré primaire et six en 8ème et 9ème années du degré secondaire I). La méthodologie mixte (analyse documentaire, entretiens avec les enseignants, observations des interactions en classe, analyse des productions des élèves, focus groups) vise à la fois à décrire des pratiques et à saisir le sens que maître et élèves donnent aux objets d’enseignement travaillés en classe.
L’analyse des résultats n’en est qu’à ces débuts mais met d’ores et déjà en évidence la grande diversité des intentions pédagogiques des enseignant-e-s, celles-ci allant de la transmission de certaines connaissances sur le monde social au partage d’un vécu personnel et émotionnel. Les buts de l’éducation interculturelle et des objets à enseigner ne semblent donc pas donner lieu à des représentations partagées.
Dans ce contexte, les enseignant-e-s se confrontent à quatre types de difficultés au moins : 1°) La discussion d’éléments relevant de la vie privée des élèves provoque parfois de fortes réactions émotionnelles chez l’élève concerné ou ses camarades. L’identité de certains élèves se trouve alors très exposée au regard des autres ; 2°) les méthodes d’enseignement sont encore peu développées et stabilisées, ce qui place les enseignant-e-s devant certains inattendus ; 3°) les contenus abordés et les réactions des élèves ont parfois pour conséquence involontaire de renforcer certains stéréotypes ; 4°) même lorsque l’enseignant-e vise à conceptualiser et généraliser l’expérience personnelle des élèves, ce processus de « secondarisation » de l’expérience première n’a pas toujours lieu. Les malentendus entre les intentions de l’enseignante et leur interprétation par les élèves sont donc fréquents.
L’analyse des données se poursuit et portera principalement sur le travail réalisé par les enseignants à partir des expériences personnelles et des émotions des élèves.
D’une durée de 36 mois (début octobre 2010), ce projet est financé par le FNS (n° 100013_1322/92 ; Michèle Grossen). Nathalie Muller Mirza, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut de psychologie, est cheffe de projet et est appuyée par deux collaboratrices : Stéphanie de Diesbach-Dolder (doctorante FNS) et Laura Nicollin (chercheure junior FNS). Contact : Nathalie.MullerMirza@unil.ch