Tatoueurs et tatoueuses en Suisse romande
Etude sociologique d’une activité professionnelle à travers ses modalités d’exercice et d’organisation
Valérie Rolle a soutenu sa thèse de doctorat à la Faculté des sciences sociales et politiques en juin 2011. Cette thèse a été menée sous la co-direction des Professeurs Gianni Haver de l’Université de Lausanne et d’André Ducret de l’Université de Genève.
Depuis la fin des années 1990, les études sociologiques sur le tatouage et ses pratiquants se sont multipliées. Toutefois, elles n’ont jamais examiné les implications de la réhabilitation de cette pratique sur les tatoueurs qui sont confrontés à une formidable croissance de leur clientèle et de la concurrence sur un marché devenu attrayant. Sur la base de ce constat, cette recherche propose un éclairage inédit sur cette population, dont l’activité n’a pas encore fait l’objet d’une analyse. Comment les tatoueurs gèrent-ils la tension entre leurs aspirations créatives et leur dépendance commerciale dans l’exercice de leur travail et avec quelles incidences sur la structuration de ce monde professionnel ?
La partie introductive du travail montre que tout en s’inscrivant dans la sociologie des « groupes professionnels », cette problématique dépasse ce cadre pour saisir les dimensions presque exclusivement informelles de cette activité. L’entrecroisement de la sociologie des relations de service, du travail artisanal et des professions artistiques, alimenté par la sociologie de la culture, a permis de réintroduire les effets productifs et les significations des modes concrets et non formels d’agir et d’être dans ce monde.
La première partie des analyses considère le « professionnalisme » comme la mise en œuvre d’un ensemble de « savoir-être ». La capacité à fournir une représentation de soi et de son travail qui rejoigne les attentes des clients – avec des enjeux de promotion matérielle et virtuelle de soi et de catégorisation des visiteurs du studio – influe sur la marge de manœuvre possible lors de la négociation du contenu du tatouage et, par là-même, sur l’espace au sein duquel le « savoir-faire » des tatoueurs peut s’exprimer.
La deuxième partie de la thèse fournit un contenu à ces « savoir-faire » en interrogeant les modes d’acquisition et de développement d’une expertise technique et graphique, lesquels expliquent l’émergence de préférences iconographiques communes, à savoir un goût pour le figuratif. La circulation et les usages des images de tatouage représentent un enjeu majeur dans ces processus d’apprentissage, dans la reconduction et le renouvellement d’un univers visuel propre à la pratique, mais aussi dans la qualification des tatoueurs. Les modes de désignation des professionnels dépendent, en effet, de leurs compétences d’encrage, dont l’identification dépend à son tour des formes prises par leur inscription dans leur monde.
La troisième partie du travail revient sur ce « savoir-vivre ». Elle observe les modalités informelles de socialisation, de sélection, d’éviction et de maintien des prétendants à l’encrage afin de cerner leurs effets sur le développement des carrières, les processus de reconnaissance et de distinction des membres du métier. Elle éclaire, ce faisant, les modes d’organisation de ce monde, qui reste régi par l’idéal artisanal du « bon professionnel » plutôt que par celui de l’« artiste singulier ».