Elizabeth Galleguillos, assistante diplômée à l’Institut d’études politiques et internationales, Laboratoire d’analyse de la gouvernance et de l’action publique en Europe (LAGAPE)
Comme doctorant ou doctorante, nous apprenons dès le début de notre parcours à justifier l’intérêt scientifique de notre objet d’étude devant nos pairs, mais aussi, dans nos domaines, à préciser sa pertinence sociale. Dans mon cas, cela semble évident : j’étudie les politiques de soins de longue durée pour les personnes âgées. Le fait que la proportion de ce groupe de population ne cesse d’augmenter suscite des questionnements scientifiques mais aussi des débats politiques intenses.
Mon intérêt pour ce domaine a surgi dans le cadre d’un mémoire réalisé à l’Université de Genève, sur les politiques de soutien aux personnes âgées dépendantes (Galleguillos, 2008), mais aussi lors d’une enquête à laquelle j’ai participé sur les politiques d’aide aux personnes malades d’Alzheimer (voir rapport du RESOP, 2008-2011). C’est du reste le terrain qui a été le déclic de mon intérêt : les récits des proches de malades, des professionnels de la santé et du social ainsi que des décideurs politiques, m’ont montré que leurs préoccupations majeures tournaient autour des politiques de soins de longue durée.
D’après l’OCDE (2005), un « système de soins de longue durée » fait référence à l’ensemble des prestations destinées aux personnes dépendantes ou en perte d’autonomie pour la réalisation des activités de la vie quotidienne (alimentation, hygiène personnelle, etc.). Généralement associées à des soins médicaux de base ou de réhabilitation, ces prestations peuvent être procurées de manière formelle (par le biais de services reconnus comme tels) ou informelle (à travers l’aide apportée par un proche). Partie intégrante des systèmes de santé, ces politiques sont souvent à l’intersection d’autres domaines d’intervention étatique, comme l’assistance sociale.
Le vieillissement de la population et la pression qu’il exerce sur les politiques sociales est le point de départ de ma réflexion. Ce qui, comme politologue, m’intéresse n’est pourtant pas de comparer les prestations existantes et d’identifier les best practices, mais plutôt d’expliquer comment les changements sont survenus et surviennent dans la régulation publique de ce secteur. En raison de son objet d’étude (la politique des soins de longue durée) et de son angle d’analyse (l’émergence et l’élaboration des politiques publiques), mon travail s’inscrit au croisement de deux champs d’étude : les études comparées sur l’Etat social et les travaux en politique comparée sur l’action publique.
Ainsi, l’étude d’un secteur d’intervention relativement récent et qui est particulièrement soumis aux pressions structurelles, constitue un terrain idéal pour analyser les transformations de l’action publique et le rôle de l’Etat dans la régulation des politiques publiques, et ce tout particulièrement à l’heure où l’on parle d’un affaiblissement de l’intervention étatique en faveur d’une régulation par le marché, ou d’un tournant dit « néo-libéral ».
Dans le cas des soins de longue durée, deux aspects sont à souligner : tout d’abord, il s’agit d’une expansion de l’Etat social (développement de nouvelles responsabilités) dans un contexte d’austérité budgétaire à un moment où la tendance est la congélation, voire la coupure des prestations sociales. Ensuite, les bénéficiaires de ces politiques (les personnes âgées dépendantes mais aussi les soignants et soignantes) sont à la fois « dispersés, désorganisés et politiquement faibles » (voir rapport du RESOP, 2008-2011), et donc peu aptes à exercer des pressions en faveur de changements dans les politiques publiques.
Toutefois, comme signalé, mon étude sur les soins de longue durée des personnes âgées soulève aussi des questions importantes d’un point de vue social, plus particulièrement en termes d’équité, de solidarité et d’inégalités entre les individus. Cela me permet tout d’abord d’aborder la question de l’inégalité de genre, les enquêtes existantes mettant en évidence que les femmes persistent à être les principales prestataires des soins, que ce soit au niveau professionnel ou dans le sphère familiale. Cette thématique touche ensuite à la question de la solidarité entre les générations, au cœur du développement de l’Etat providence. Avec l’augmentation du nombre de personnes âgées et l’allongement de leur espérance de vie, la redistribution de ressources entre les jeunes et les vieux devient sujet à controverses. Il est aujourd’hui établi qu’une grande partie des politiques sociales tend à favoriser les tranches d’âges les plus élevés au détriment des plus jeunes. Cependant, pour beaucoup d’observateurs, s’agissant des soins de longue durée, le volume des dépenses en faveur des groupes d’âges les plus élevés pourrait être contrôlé par des politiques plus adéquates. Soins à domicile ou structures intermédiaires (appartements surveillés, foyers de jours, etc.) seraient susceptibles à la fois d’augmenter la qualité de vie des personnes âgées et de réduire les dépenses liées à l’institutionnalisation de leur prise en charge.
Pour résumer, réfléchir en politologue sur les soins de longue durée, c’est autant s’interroger, sur l’évolution de l’intervention publique dans une société vieillissante, qu’apporter une contribution à portée pratique sur la manière de garantir à long terme des prestations sociales accessibles pour toutes et tous.
Références
Galleguillos, E. « Les politiques d’aide aux personnes âgées dépendantes en Suisse : une analyse exploratoire », Mémoire de Master en socio-économie, Université de Genève sous la direction du Prof. Michel Oris, septembre 2008.
Lucas, B., Giraud, O., Galleguillos, E., & Maggi, J. Politiques d’aide aux malades Alzheimer en Suisse. Définition des besoins et gestion des conflits à chaque étape du parcours de vie. Volume 2, Etudes de cas cantonales. Institut de Recherches Sociales et Politiques (RESOP) Département de science politique, Université de Genève. 151.p.