Pour une sociologie visuelle du monde policier : Regards, visibilité et médiatisation de la police lausannoise
Michaël Meyer a obtenu sa licence en sciences sociales en 2005 et son doctorat en sciences sociales en 2011 à l’Université de Lausanne. Il a fait sa thèse en co-tutelle avec les Prof. Sylvain Maresca de l’Université de Nantes et Gianni Haver de l’Université de Lausanne. Il est actuellement premier assistant au Laboratoire de Sociologie (LABSO, Institut des Sciences Sociales) et en charge des enseignements de « Culture médiatique » au Collège des Humanités de l’EPFL.
Au quotidien, chacun de nous peut faire l’expérience de rencontres littéraires, télévisées, cinématographiques, etc., avec la police. Ce fort investissement médiatique, tant dans le champ du divertissement que de l’information, a renforcé la présence publique de cette institution. Les policiers et leur travail ont alors acquis une haute visibilité culturelle ainsi qu’une puissance narrative et imaginaire inégalée durant les dernières décennies. Témoins de cette galaxie de sens, les policiers s’approprient certaines tendances médiatiques dans leur travail quotidien et dans la présentation d’eux-mêmes qu’ils proposent au public. Ils puisent stratégiquement des ressources identitaires et discursives dans les répertoires mis à disposition par les médias. Ces derniers fournissent des schémas d’action et des valeurs à faire valoir face à un public perçu comme réceptif aux imaginaires médiatiques. Confronté aux caméras et à la diffusion de son image (ou de celle de ses collègues réels ou fictifs), le policier développe ainsi de nouveaux rapports à son activité et à son groupe professionnel.
A partir de ces constats, ma recherche a proposé l’étude sociologique de trois dimensions « visuelles » du travail policier en rue à Lausanne, en particulier à Police-secours et dans la police de proximité. Chaque dimension constitue une partie de la thèse : l’observation comme ressource professionnelle des policiers (voir), leur visibilité en rue (être vu) et la figuration médiatique de leur profession (vu dans les médias). Cette thèse est également construite comme un compte rendu méthodologique de l’usage sociologique des images, spécifiquement de la photographie,durant l’enquête de terrain.
Dans les trois parties, l’analyse s’élabore de manière croisée à partir des contextes intermédiatiques et de face à face dans lesquels l’expérience du policier se construit.Dans la mesure où les témoins des actions en rue sont simultanément l’audience des médias, les représentations de la police au travail et leurs diffusions participent du façonnement de la police moderne et de son rapport au public. Pour comprendre ce phénomène,j’ai recouru, outre à une démarche ethnographique par observation directe et entretiens, à la « stimulation photographique », méthode de présentation des images aux enquêtés et de récolte de leurs commentaires.
Si ma recherche s’intéresse au travail de police et aux compétences visuelles des agents, elle touche aussi l’étude des médias et l’analyse des interactions situées engendrées par la diffusion des représentations médiatiques. Dans ce but, la « sociologie visuelle » peut constituer une opportunité méthodologique pour renouveler l’étude des groupes professionnels dans la société médiatique. Les méthodes visuelles utilisées permettent en effet d’ouvrir une analyse de la société comme système de regards et de constituer la visibilité en objet et en catégorie analytique pour les sciences sociales.