Le profil socioprofessionnel du Conseil national (2015-2023)

Par Andrea Pilotti, Karim Lasseb & Roberto Di Capua, Université de Lausanne

Préambule

La nouvelle composition du Conseil national au soir du 22 octobre 2023 se caractérise, d’une part, par un recul sensible des partis écologistes, à savoir les Verts (de 28 à 23 sièges) et les Verts’libéraux (de 16 à 10 sièges). D’autre part, l’UDC récupère 9 des 12 sièges perdus en 2019, en passant d’une députation à la Chambre basse de 53 à 62 sièges. En termes de renouvellement des membres du Conseil national, nous constatons qu’il a été moins important en 2023 qu’en 2019 : 48 nouveaux et nouvelles élu·e·s, à savoir 24% des sièges de la Chambre basse, par rapport aux 61 de quatre ans auparavant (30,5%). L’UDC, qui compte 21 nouveaux et nouvelles membres dans sa députation, contribue le plus à ce renouvellement en 2023, suivi par le PS (10), PLR et Centre (7 chacun) et deux partis mineurs (2 MCG et 1 UDF).

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1. Présence des femmes : bilan en demi-teinte

À l’issue des élections fédérales de 2019, nous assistions à la plus importante avancée du nombre de femmes au Conseil national depuis l’introduction du suffrage féminin en 1971 (de 32 à 41,5%). À l’occasion des élections fédérales du 22 octobre 2023, nous constatons un recul de trois points de pourcentage. Les élues représentent désormais 38,5% des membres de la Chambre du peuple (Figure 1). Une baisse qui est largement tributaire du succès de l’UDC qui comptait déjà, au départ, moins de candidatures féminines sur ses listes électorales.

Figure 1 : Hommes et femmes au Conseil national (2015-2023), en %

Même si la présence des femmes a baissé, en passant en chiffres absolus de 83 élues en 2019 à 77 le soir du 22 octobre 2023, il émerge néanmoins, qu’à l’exception de l’UDC, les partis du centre-droit (PLR et Centre) et le PS ont renouvelé leurs députations en faisant élire une part significative de femmes. Il s’agit même de plus de la moitié pour le Centre et le PS (Figure 2).

Figure 2 : Femmes parmi les néo-élu·e·s au Conseil national, par parti (2023), en %

À l’issue des dernières élections, les délégations partisanes présentant les plus importantes proportions de femmes au sein du nouveau Conseil national sont celles des Verts’libéraux (70%), du PS (58,5%) et des Verts (56,5%). Les autres délégations, comme lors de la dernière législature, continuent à ne pas afficher une véritable parité homme-femme : 42,9% des élu·e·s PLR sont des femmes (en augmentation néanmoins par rapport aux 34,5% de 2019), 31% au Centre (32% en 2019) et 19,4% à l’UDC (24,5% en 2019) (Figure 3).

Figure 3 :  Femmes au sein des délégations partisanes du Conseil national (2023), en %

2. Le Conseil national : une chambre légèrement plus « âgée »

Au sujet de l’âge des élu·e·s, nous constatons un léger « vieillissement » du nouveau Conseil national. Cela s’illustre par deux indicateurs. Tout d’abord, en termes d’âge moyen des membres du Conseil national de 2023, nous remarquons une augmentation par rapport à 2019 : de 48,6 à 49,7 ans. Une évolution qui s’explique par la croissance de l’âge moyen des députations du PLR, du Centre, des Verts et des Verts’libéraux (Annexes 1 et 2). L’autre indicateur témoignant d’un certain « vieillissement » des député·e·s suisses renvoie à leur répartition par groupe d’âge. Il s’avère ainsi que les élu·e·s de moins de 40 ans ont diminué par rapport à 2019 (de 22 à 16,5%), tandis que les élu·e·s de 60 ans et plus ont augmenté (de 16 à 19%). En même temps, ce constat est en partie nuancé par le fait que les membres du Conseil national entre 50 et 59 ans diminuent, alors que ceux et celles de 40 à 49 ans augmentent (Figure 4).

Figure 4 : Répartition des membres du Conseil national selon leur âge (1848 et 2015-2023)

Le fait que le tout premier Conseil national de 1848 affiche à la fois un âge moyen plus bas (43 ans) et une part largement minoritaire d’élus de 50 ans et plus (22,5% vs 50,5% en 2023) peut s’expliquer pour deux raisons liées à la période de la moitié du XIXe siècle. D’une part, la naissance de l’État fédéral et d’un nouveau système politique, entraîne aussi l’arrivée d’une élite politique jeune qui remplace celle qui a caractérisé la période précédente. D’autre part, nous devons rappeler qu’à l’époque l’espérance de vie de la population était plus basse qu’aujourd’hui et, de ce fait, cela influence en partie aussi la structure d’âge du Parlement suisse.

De manière générale, en termes d’âge, pour la période 2015-2023, les élues se distinguent des élus, d’un côté, par un âge moyen qui est toujours plus bas et, de l’autre côté, par une présence plus importante de parlementaires âgées de moins de 50 ans. Remarquons néanmoins qu’en 2023 les différences se réduisent sensiblement (Annexes 3 et 4).

3. La formation universitaire : une ressource un peu moins incontournable

Le taux d’universitaires siégeant au Conseil national n’avait cessé de diminuer depuis les années 1990 en raison du succès de l’UDC. Cette évolution a duré jusqu’en 2019 lorsque, pour la première fois, la proportion d’élu·e·s possédant un titre universitaire avait augmenté en raison notamment de l’arrivée de plusieurs nouveaux et nouvelles élu·e·s Verts et Verts’libéraux au bénéfice d’une formation dans une université ou une école polytechnique. En 2023, en conséquence du retour au succès de l’UDC, le taux d’universitaires diminue quelque peu, en passant de 60,5 à 58%. À titre de curiosité, en cette année correspondant au 175ème anniversaire de l’État fédéral, relevons qu’alors (en 1848) comme aujourd’hui, la formation universitaire constitue toujours une ressource très répandue parmi les membres du Conseil national (Figure 5).

Figure 5 : Membres du Conseil national avec une formation universitaire (1848 et 2015-2023)

Les partis du centre-droit (PLR, Centre et Verts’libéraux) et de gauche (PS et Verts) affichent un degré d’académisation très élevé, alors que l’UDC se caractérise de loin par le taux le plus bas d’élu·e·s universitaires parmi ses nouveaux et nouvelles député·e·s, ainsi que pour l’ensemble de sa députation (Figures 6 et 7).

Figure 6 : Néo-élu·e·s au Conseil national avec une formation universitaire, par parti (2023), en %

Figure 7 : Elu·e·s avec une formation universitaire au sein des délégations partisanes du Conseil national (2023), en %

Relevons d’ailleurs que le taux d’universitaires au sein des principales délégations partisanes, par rapport à 2019, a légèrement augmenté pour le PLR (de 58,6 à 60,7%) et les Verts’libéraux (de 87,5 à 90%), il est resté stable chez les Verts et il a diminué légèrement pour le PS (de 79,5 à 78%) et plus sensiblement pour le Centre (de 72 à 65,5%) et l’UDC (de 34 à 29%).

L’importance de la formation universitaire diverge sensiblement entre les femmes et les hommes siégeant au Conseil national. Pour la période 2015-2023, les députées affichent un taux d’universitaires toujours plus élevé que les députés. À l’issue des élections fédérales d’octobre 2023, l’écart a même augmenté : 68,8% des élues ont accompli une formation dans une université ou une école polytechnique, alors que chez les élus le taux baisse à 51,2% (Annexe 5).

4. Toujours plus de sièges aux indépendant·e·s et moins aux salarié·e·s

Sur le plan du profil professionnel, nous remarquons que le Conseil national affiche une composition très stable depuis la création de l’État fédéral en 1848 (pour plus de détails historiques, voir aussi Pilotti 2018, 2022). En termes de catégories générales, la Chambre basse est largement dominée par les indépendant·e·s suivi·e·s par les professions politiques, alors qu’une partie très minoritaire de ses membres est issue du groupe des salarié·e·s. La répartition, par typologie professionnelle, des député·e·s suisses au cours du temps reste remarquablement stable.

En ce qui concerne l’évolution entre 2019 et 2023, deux mutations notables sont visibles : la croissance sensible des indépendant·e·s (de 45 à 51,5%) et la diminution importante des salarié·e·s (de 18,5 à 11%) (Figure 8).

Figure 8 : Répartition des membres du Conseil national selon leur statut professionnel (1848 et 2015-2023), en %

La progression des indépendant·e·s est largement tributaire du succès de l’UDC dont la presque totalité des nouveaux et nouvelles membres (90,5%) est issue de cette catégorie professionnelle. La progression des indépendant·e·s est également issue des nouveaux et nouvelles élu·e·s du Centre : plus de la moitié exercent une activité indépendante (Figure 9).

Figure 9 : Néo-élu·e·s au Conseil national exerçant une profession indépendante, par parti (2023), en %

La Figure 10 présente une répartition davantage détaillée des élu·e·s selon leur profil professionnel. Nous constatons que le Conseil national est dominé par trois groupes principaux. Premièrement, le groupe des professionnel·le·s de la politique[1] (35%) incluant notamment une part importante de parlementaires de profession qui connaissent d’ailleurs l’augmentation la plus importante par rapport à 2019 (+5,5 points de pourcentage ; voir Annexe 6). Deuxièmement, le groupe des entrepreneur·e·s (27%) dont le poids croît en 2023 par rapport au début de la dernière législature en raison de l’arrivée d’un nombre plus important d’agriculteurs·trices (+2,5 points de pourcentage) et les entrepreneur·e·s (industrie, arts et métiers) (+2). Enfin, le groupe des professions libérales (24%) au sein duquel il est intéressant de constater la croissance des avocat·e·s (+3 points de pourcentage), ce qui constitue, selon les données de l’Observatoire des élites suisses, une première depuis la fin des années 1970 (voir Pilotti 2017 : 360)[2].

Figure 10 : Répartition des membres du Conseil national selon leur groupe professionnel en 2023, en %

Une analyse en termes de genre révèle des différences significatives dans le profil professionnel des femmes et des hommes élu·e·s au Conseil national lors des trois dernières élections fédérales, entre 2015 et 2023 (Annexe 7)[3]. Plus précisément, les députées se caractérisent par deux groupes professionnels prédominants. D’une part, celui des parlementaires de profession : pour pas moins d’un tiers de toutes les élues le mandat politique à Berne constitue l’activité principale, alors que le taux est nettement plus bas parmi leurs collègues hommes (en 2023, 37,7% vs 21,1%). D’autre part, les députées sont davantage issues des autres professions libérales (médecins, consultantes économiques, juridiques, politiques ou en communication, etc.) : en 2023, 18,2% des élues sont actives dans ce groupe professionnel, presque deux fois plus que les élus (9,8%). En ce qui concerne les hommes élus à la Chambre du peuple, ils se distinguent des députées en étant davantage issus des groupes des chefs d’entreprise (en 2023, 22% vs 9,1%), des agriculteurs (en 2023, 12,2% vs 6,5%) et des avocats (en 2023, 13,8% vs 5,2%).

5. Les 175 ans de l’État fédéral (1848-2023) et une importante stabilité du profil professionnel du Conseil national

Un regard comparatif entre le tout premier Conseil national de 1848 et celui issu des toutes dernières élections fédérales du 22 octobre 2023 permet de faire aussi des constats fort intéressants (Annexe 6). Premièrement, la part de chefs d’entreprise dans le domaine des industries et des arts et métiers reste très stable : on en comptait 15,3% en 1848, ils et elles sont aujourd’hui 17%. Deuxièmement, les professions libérales (avocat·e·s, médecins, architectes, ingénieur·e·s, etc.) occupent toujours une position de premier plan parmi les membres de la Chambre du peuple (un quart des sièges). Troisièmement, le Conseil national fait toujours peu de place aux salarié·e·s du public (cadres et enseignant·e·s) et du privé. Leur part en 2023, même si elle est légèrement supérieure qu’en 1848 (11% vs 5,4%), reste marginale par rapport à leur poids au sein de la population suisse.

Deux autres évolutions historiques méritent d’être soulignées au sujet de la présence des agriculteurs et des professions politiques. En ce qui concerne les premiers, il est intéressant de constater que leur présence sur les bancs du Conseil national est inversement proportionnelle au poids économique du secteur primaire. Les agriculteurs étaient largement sous-représentés en 1848 alors que le secteur agricole occupait presque 50% des personnes actives; ils sont largement surreprésentés en 2023 alors que le secteur primaire occupe 2,3% des personnes actives en Suisse[4]. Cette évolution illustre une fois de plus la capacité de la paysannerie suisse, presque sans égal dans une comparaison internationale, à se mobiliser et à revêtir un rôle central sur le plan politique. Et cela notamment depuis la création de l’Union suisse des paysans en 1897, se traduisant entre autres par une présence très significative au Conseil national depuis le début du XXe siècle.

Au sujet des professions politiques, alors que leur poids global reste toujours important (voir Figure 8 ci-dessus), on assiste à des changements internes très significatifs. En effet, dès 1848 jusqu’aux environs des années 1980 et 1990, on y trouve plusieurs membres d’exécutifs cantonaux et d’exécutifs des villes suisses (25,2% en 1848). Les premiers disparaissent carrément en raison de l’interdiction de cumuler le mandat de conseiller·ère d’État et parlementaire fédéral introduite dans plusieurs cantons, ainsi qu’en raison de la difficulté de concilier les deux fonctions électives devenues davantage exigeantes en termes de charges de travail. En revanche, au cours de la période plus récente, notamment pendant les années 2000 et 2010, la part des parlementaires à plein temps va croître, en raison de l’amélioration des rémunérations des parlementaires (27% en 2023) (pour plus de détails, voir Pilotti 2017 : 236ss. et 360).

Conclusion

L’analyse du profil social et politique du nouveau Conseil national issu des élections fédérales de 2023 met en lumière la profonde et constante sélectivité sociale caractérisant les logiques du recrutement parlementaire en Suisse.

Bien que certains indicateurs aient évolué suite aux dernières élections de 2023, tels que l’âge moyen légèrement en hausse, la légère baisse de la représentation des femmes, et la légère diminution des universitaires en raison du succès de l’UDC, nous constatons que la plupart des caractéristiques sociales des élu·e·s persistent depuis la création de l’État fédéral en 1848.

Les professions libérales et les entrepreneurs conservent une présence dominante au sein du Conseil national et ce depuis 175 ans. La présence des agriculteurs, bien que très minoritaire dans la société, demeure très significative. A l’inverse, les salarié·e·s du secteur public et privé sont faiblement représenté·e·s par rapport à leur poids démographique. Ce miroir inversé entre les membres du Parlement et la réalité socio-économique de la population suisse interroge quant à la capacité des élu·e·s à traduire les problèmes quotidiens de la population au sein de l’arène fédérale.

[1] À titre d’information, dans ce groupe, nous avons inclus les dirigeants du patronat, les secrétaires syndicaux, les membres d’exécutifs communaux, ainsi que les parlementaires professionnels.

[2] Précisons que le taux d’avocat·e·s indiqué dans l’Annexe 6 est en réalité même plus important au Conseil national. En effet, un certain nombre d’entre eux et elles ont été classé·e·s dans d’autres groupes professionnels, notamment les parlementaires de profession, dès le moment que nous avons pu juger que la plupart du temps de travail ne pouvait pas être consacré à leur cabinet d’avocat·e.

[3] Ce constat confirme d’ailleurs la tendance déjà illustrée pour l’ensemble du Parlement fédéral depuis les années 1970 et 1980 (voir Pilotti 2017 : 241-242 et 355).

[4] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/travail-remuneration/activite-professionnelle-temps-travail/caracteristiques-main-oeuvre/section-economique.html (page consultée le 24 octobre 2023).

Annexes

Annexe 1 : Âge moyen des membres du Conseil national (1848 et 2015-2023)

Annexe 2 : Âge moyen des membres du Conseil national, par délégation partisane (2015-2023)

Annexe 3: Âge moyen des membres du Conseil national (2015-2023), selon le genre

Annexe 4: Répartition des membres du Conseil national selon leur âge (2015-2023), selon le genre, en %

Annexe 5: Membres du Conseil national avec une formation universitaire (2015-2023), selon le genre, en %

Annexe 6: Répartition des membres du Conseil national selon leur profession (1848 et 2015-2023), en %

Annexe 7: Répartition des membres du Conseil national selon leur profession (2015-2023), selon le genre, en %